Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/432

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de larmes amères, partir d’un éclat de rire convulsif, en voyant la vieille française renverser par mégarde sa tabatière sur le petit chien, qui se mettait à éternuer bruyamment, tandis que la pauvre duègne répétait en se lamentant : « Ah che fatalità ! — Ah carino ! poverino !… » car elle avait l’habitude de ne parler qu’en italien au susdit roquet, attendu qu’il était natif de Padoue. Malgré cela, la jeune fille était la plus gentille blondine possible ; et, au milieu de tous ses étranges caprices pleine de grâce et d’amabilité, de sorte qu’elle exerçait partout, sans la moindre prétention, un charme irrésistible.

Sa sœur cadette, nommée Adelgonde, offrait auprès d’elle le plus singulier contraste. Je cherche en vain des mots pour vous définir l’impression toute particulière et surprenante que cette jeune fille produisit sur moi lorsque je la vis pour la première fois. Imaginez la plus noble tête, des traits d’une merveilleuse beauté : mais ses joues et ses lèvres couvertes d’une pâleur mortelle ; et quand elle s’avançait à pas mesurés, le regard fixe, quand un mot à peine distinct, entr’ouvrant ses lèvres de marbre, se perdait isolé dans le silence du grand salon, malgré soi l’on se sentait saisi d’un frisson glacial.

Je surmontai bientôt cette émotion de terreur, et je dus m’avouer, après avoir provoqué la jeune fille si profondément concentrée en elle-même à causer familièrement, que l’effet bizarre de cette apparition fantastique dépendait seulement de son intérieur, et que ses sentiments et son caractère n’y avaient aucune part. Dans le peu qu’elle disait se révélaient un jugement délicat,