Page:Hoffmann - Contes fantastiques,Tome 2, trad. Egmont, 1836.djvu/69

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privilège de la parenté, de l’amitié, de l’amour, et il frappait ses malheureuses victimes d’une main aussi agile que sûre. Tel qui jouissait la veille de la santé la plus florissante, le lendemain se traînait à peine consumé d’un mal étrange, et toutes les ressources de la médecine ne pouvaient le préserver de la mort.

Être riche, pourvu d’un bon emploi, marié trop vieux peut-être à une jeune et jolie femme, c’étaient autant de motifs pour redouter une mort prochaine. La méfiance la plus cruelle venait corrompre les relations les plus sacrées. L’époux tremblait devant l’épouse, le père devant le fils, la sœur devant le frère. Dans les repas offerts par un ami à ses amis, les mets, le vin restaient intacts, et là où régnait autrefois une douce et franche gaîté, des yeux hagards épiaient avec anxiété le meurtrier anonyme. On vit des pères de famille, dans l’excès de leurs angoisses, se procurer dans des lieux éloignés des vivres qu’ils préparaient eux-mêmes dans quelque ignoble réduit, redoutant dans leur propre ménage une trahison diabolique. Encore arrivait-il que les précautions les plus minutieuses et les plus multipliées ne servissent à rien.

Le roi, afin de réprimer ces attentats qui devenaient plus communs de jour eu jour, institua une chambre spéciale de justice exclusivement chargée de la poursuite et de la punition de ces crimes secrets. On l’appela la Chambre ardente, et elle tenait ses séances non loin de la Bastille, sous la présidence de La Reynie. Pendant longtemps celui-ci, malgré