Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

secret soupçon dont je tressaille malgré moi jusqu’à la moelle des os, dès que j’envisage une union avec elle, telle que le mariage la comporte. Il y a dans la nature féminine quelque chose d’indéfinissable, au-dessus de tous les calculs de l’homme. Celle que nous croyons s’être donnée à nous corps et âme et de complète abnégation, est la première à nous trahir, et les baisers les plus voluptueux distillent souvent le poison le plus funeste.

« Et ma Marianna ? s’écria Antonio tout interdit.

« Pardonnez, Antonio ! continue Salvator ; mais justement votre Marianna, la douceur et la grâce en personne, m’a prouvé de nouveau combien nous est redoutable la nature mystérieuse de la femme. Rappelez-vous les démonstrations de cette enfant ingénue et sans expérience, quand nous rapportâmes chez elle son oncle soi-disant blessé, et comme elle devina, sur un seul coup-d’œil, tout le manège, et comme elle continua à jouer son rôle, ainsi que vous me l’apprites vous-même, avec une finesse consommée ; aiais cela n’est rien auprès de ce qui se passa, lors de la visite de Musso chez Capuzzi. La ruse la mieux exercée, la feinte la plus impénétrable, bref, toute l’adresse imaginable de la femme la plus expérimentée du grand monde ne saurait surpasser l’art dont la petite Marianna fit usage pour abuser son vieux tuteur en toute sécurité ; elle ne pouvait agir avec plus de dextérité pour nous aplanir un chemin plus large à nos tentatives. Dans la guerre contre ce vieux fou enragé tout artifice peut passer pour légitime. — Pourtant… Quoi qu’il en soit, Antonio,