Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/14

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la rue Neuve, marche à sa rencontre ; quels cris ! quels grognements ! quelle lutte infernale ! Je jetai plume et papier au diable, je mis mes bottes et je me sauvai loin de tout ce vacarme en passant par le faubourg de Cracovie. Bientôt un bois sacré me reçut sous ses ombrages. J’étais à Lazienki, semblable à un jeune cygne ; l’élégant palais nage sur les ondes transparentes du lac ; des zéphirs voluptueux soufflent dans les arbres en fleurs. Quelles délicieuses promenades dans les allées au feuillage épais ! mais que vois-je ? n’est-ce pas la statue du gouverneur de don Juan, qui galoppe avec son nez blanc à travers la sombre feuillée ? c’est Jean Sobieski ! je lis : Pink fecit, malè fecit. Quelles proportions ! le héros passe sur le corps de quelques esclaves qui lèvent, en se tordant, leurs bras flétris vers le coursier cabré. C’est un aspect dégoûtant ! et puis le grand Sobieski, représenté en Romain, avec des moustaches, avec un sabre polonais et un sabre en bois ; quelle ineptie !

» Hélas ! je suis perdu ! voici le conseiller Margraff qui vient à moi. Il m’emmène de force dans sa droschka. La voiture s’arrête devant un édifice informe ; sous une toiture chargée de plus de douze cheminées ; sur le devant un petit, un très-petit frontispice. C’est la salle de spectacle ! Quelle pièce donne-t-on ? le Porteur d’eau de Chérubini. Bien ! l’orchestre joue l’ouverture qui est vive et brillante, avec un flegme tout-à-fait allemand. Le comte Armand a un nez et des moustaches postiches ; sa femme chante d’un quart de ton trop haut ; la garde nationale porte l’uniforme russe ; les promeneurs parisiens font le salut