Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/175

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et au milieu d’un cortége triomphal, vers Saint-Clément, où l’attendait le Bucentaure.

Au même moment où Marino Falieri mettait le pied sur le Bucentaure, et c’était le trois octobre au soir, à l’heure du coucher du soleil, un pauvre diable était étendu sur le dur pavé de marbre devant les colonnes de la douane. Quelques lambeaux de toile rayée, dont la couleur était devenue méconnaissable, et qui paraissaient avoir appartenu jadis à un vêtement de marinier, tel qu’en portaient les porte-faix et les rameurs de la classe la plus infime, voilaient a peine son corps décharné : au lieu de la chemise chaque lacune montrait à nu la peau du malheureux ; mais elle était si blanche, si délicate, que le plus noble gentilhomme aurait pu en tirer honneur et vanité. — Sa maigreur ne faisait que mieux ressortir les proportions parfaites de ses membres, et à contempler son front ombragé de cheveux châtains-clairs et bouclés malgré leur désordre, son nez aquilin, sa bouche régulière, et ses yeux bleus creusés par les soucis et la misère, on restait convaincu que l’étranger, âgé de vingt ans au plus, était d’une naissance distinguée, et devait à la rigueur du sort de se voir relégué dans la lie des plus bas rangs de peuple.

Comme nous venons de le dire, le jeune homme était couché devant les colonnes de la douane, immobile, la tète appuyée sur son bras droit, son regard fixe et morne dirigé sur la mer. On eût pu croire que son âme s’était exhalée et que la lutte