Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/179

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

furent jaloux, ils me desservirent auprès du patron, je fus chassé, et partout où je me présentais et sur mon passage, ils me criaient : Chien d’Allemand ! maudit hérétique ! — Bref, il y a trois jours, étant occupé près de Saint-Sébastien à tirer une barque sur la grève, je fus assailli à coups de pierre et de bâton ; je défendis ma peau vaillamment, mais le traitre de Nicolò m’asséna un coup d’aviron qui me rasa la tête et m’abima le bras droit, en me terrassant. — Mais voici que tu m’as remis en bon état, la vieille, je sens en effet que ton onguent me procure un soulagement surprenant. Vois donc comme je me sers déjà librement de mon bras. Je vais recommencer à ramer vigoureusement. »

Antonio se tenait droit et agitait vivement, en tout sens, le bras blessé, quand la vieille, ricanant de plus belle et sautillant d’une manière grotesque, s’écria : « Cher enfant, mon cher enfant ! rame avec vigueur, — avec vigueur ! — Le voilà, — le voilà qui vient : l’or darde des rayons enflammés. Rame avec vigueur, — avec vigueur ! — mais une seule fois encore, une fois seulement ! — tu ne rameras plus aprés. »

Antonio ne prêta aucune attention aux paroles de la vieille, car le plus magnifique spectacle venait de se dérouler devant lui. De Saint-Clément, le Bucentaure, sous son pavillon portant l’insigne du lion adriatique, s’avançait à coups bruyants d’aviron, tel qu’un cygne doré à l’aide d’une impulsion puissante. Entouré de barques et de gondoles par milliers, il semblait, avec sa proue royale et altière, comman-