Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/208

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garder aucun doute une élégante paire de gants d’homme restée sur un fauteuil, et dont l’odeur d’ambre trahissait le petit-maître à qui ils appartenaient. Furieux de l’impudence inouie de Steno, le doge lui écrivit dans la matinée suivante : que, sous peine de bannissement de la ville, il eût à éviter d’approcher du palais ducal, ainsi que de sa personne et de celle de la dogaresse. Michel Steno était plein de rage d’avoir vu échouer son plan diabolique ; l’ordre injurieux d’une séquestration loin de son idole y mit le comble. Réduit à voir de loin la dogaresse, s’entretenant avec d’autres jeunes seigneurs de l’air gracieux et bienveillant qui lui était naturel, l’envie, le délire de la passion lui inspirèrent l’odieuse pensée que peut-être la dogaresse ne l’avait dédaigné que parce que d’autres plus heureux l’avaient prévenu auprès d’elle, et il eut l’audace d’en parler hautement et publiquement.

Dans cette conjoncture, soit que le vieux Falieri eût eu connaissance de ces insolents propos, soit que le souvenir de cette nuit le frappât comme le présage d’un destin funeste, soit enfin que, malgré sa confiance absolue dans la sagesse de sa femme, malgré leur paisible et bonne intelligence, il entrevit un imminent danger dans le disparate d’une association peu naturelle ; bref, il devint chagrin et morne, et tourmenté par le venin d’une jalousie infernale, il relégua Annunziata dans les appartements intérieurs du palais ducal, où personne n’avait permission de pénétrer jusqu’à elle. Bodoeri prit fait et cause pour sa petite nièce, et fit de vifs reproches au