Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/237

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les portes du palais ducal sont fermées ; le doge est enfermé dans sa chambre, gardé comme un criminel par ses propres gardes parjures. Sauve-toi, sauve-toi ! »

Antonio, presque privé de sentiment, se laissa conduire dans la gondole.

— Des voix sourdes, — un cliquetis d’armes, — des cris d’angoisse isolés… ; puis tout rentra dans un silence morne et absolu au sein des ténèbres de la nuit. Le lendemain matin, le peuple oppressé d’un mortel effroi fut témoin d’un spectacle capable de glacer le sang dans les veines. Le Conseil des Dix avait, dans la nuit même, fait exécuter la sentence de mort contre les chefs des conjurés qui avaient été pris. On exposa leurs corps étranglés sur la galerie de la piazetta, à côté du palais, là où le doge assistait ordinairement aux cérémonies ; — là, grand Dieu ! où Antonio était descendu aux pieds de la charmante Annunziata, et où elle avait reçu de ses mains le bouquet de fleurs du jeudi gras.

Parmi les cadavres étaient ceux de Marino Bodoeri et de Bertuccio Nenolo. Deux jours aprés, le vieux Marino Falieri, condamné par le Conseil des Dix, eut la tête tranchée sur l’escalier du palais nommé l’escalier des géants.

Antonio avait erré à l’aventure comme un homme privé de raison ; personne ne l’arrêta, car personne ne savait qu’il eût pris part à la conjuration. Lorsqu’il vit tomber la tète grise du vieux Falieri, il sortit comme d’un rêve de mort lourd et oppressant.