Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/286

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Il se comportait avec autant de bienveillance à l’égard des hommes ; il était donc peu surprenant qu’on aimât généralement l’étranger, et chacun s’empressait de venir à son aide quand il était arrêté prés des larges ruisseaux de la ville, et embarrassé de les franchir. Car, quoiqu’il fût grand et bien fait, il boitait cependant d’un pied, ce qui l’obligeait à s’aider d’une canne ; mais, quand quelqu’un lui tendait la main, il sautait alors avec lui à prés de dix pieds de hauteur et retombait de l’autre côté, quelquefois à douze pas plus loin. Cela étonnait bien un peu les gens, et plus d’un empressé avait eu de la sorte la jambe foulée ou la cheville démise. Mais l’étranger s’excusait en disant qu’autrefois, avant d’être devenu boiteux, il avait été prévôt de la salle de danse à la cour du roi de Hongrie, et que par suite, dès qu’on aidait tant soit peu son élan, l’envie de danser encore s’emparait de lui et le forçait irrésistiblement à sauter de la sorte. On se contenta de cette explication, et même on finit par s’égayer à voir tantôt un magistrat, tantôt un pasteur ou quelqu’autre personne vénérable bondir de cette étrange façon au bras de l’étranger.

Il y avait pourtant de bizarres contradictions dans sa conduite. Ainsi parfois il parcourait nuitamment les rues et heurtait aux portes des maisons. Ceux qui ouvraient les leurs étaient saisis d’effroi en le voyant enveloppé de blancs linceuls, et poussant des gémissements pitoyables. Le lendemain il allait présenter ses excuses et prétendait obéir à la nécessité d’agir ainsi, tant pour se rappeler à lui-même que pour