Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/322

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sentirent, dès les premiers jours, au changement total survenu dans son caractère. Il tombait à chaque instant dans de sombres rêveries, et devint bientôt d’une singularité d’humeur complètement opposée à son naturel. Tout, et la vie elle-même, se transformait pour lui en rêves et en pressentiments ; il répétait sans cesse que l’homme, qui se croyait libre, n’était qu’un jouet soumis aux cruels caprices des puissances occultes, qu’on se révoltait en vain contre elles, qu’il fallait humblement subir les arrêts de la fatalité. Il allait jusqu’à soutenir que c’était une folie que de croire à la force de notre volonté spontanée pour cultiver avec fruit les sciences et les arts ; car, disait-il, l’inspiration sans laquelle on ne réussit à rien, n’a pas son origine en nous, mais est due à l’influence d’un principe étranger qui nous est supérieur.

Cette rêverie mystique déplaisait infiniment à la raisonnable Clara ; mais il lui semblait que ce serait une peine perdue que de s’engager en contradictions avec lui. Cependant lorsque Nathanael voulut prouver un jour que Coppelius était le mauvais génie qui s’était insinué en lui au moment où il écoutait derrière le rideau, et que ce démon malfaisant troublerait d’affreuse manière le bonheur de leurs amours, cette fois Clara devint très-sérieuse et dit : « Oui, Nathanael ! tu as raison : Coppelius est un principe nuisible et malfaisant, il peut comme un génie infernal qui disposerait visiblement de notre vie, causer d’horribles résultats, mais seulement dans le cas où tu renoncerais à le bannir de ton esprit et de ta pensée. Tant