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Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/444

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Contes

viction que cette morosité glaciale, chez lui, n’avait d’autre cause que la disparition d’une époque qui lui avait fermé le monde, où il vivait, se mouvait et respirait librement, et hors duquel il ne pouvait plus trouver ni sympathie, ni point d’appui. Et combien il nous surprit, quand à la fin, devenu joyeux et plein d’abandon, il prononça, avec une expression énergique et pénétrante, les paroles du spectre dans Hamlet, d’après Schrôder (car il n’avait nullement connaissance de la traduction moderne de Schlegel) ! Mais il provoqua tout à fait des transports d’admiration en nous récitant plusieurs passages du rôle de Oldenholm, car il ne voulait pas non plus admettre le nom de Polonius. Tout cela pourtant est peu de chose auprès d’une scène, à mon avis sans pareille, et qui ne s’effacera jamais de ma mémoire. Ce que je viens de raconter, un peu longuement peut-être, n’en est que le prélude.

Mon homme était obligé d’accepter une foule de rôles secondaires, et de remplir, dans les ridicules pièces à tiroir, le misérable emploi du compère destiné à servir de plastron à l’acteur aux travestissements. C’est ainsi qu’il devait jouer, quelques jours après notre entrevue, un rôle de directeur de théâtre dans Les Rôles à l’essai, que son véritable directeur lui-même, qui s’imaginait y devoir faire sensation, s’était arrangés à sa manière. Le jour venu, soit que notre entretien et la soirée dont j’ai rendu compte eussent réveillé son ancienne verve et son ardeur éteinte, soit que dans la matinée peut-être, comme on voulut le prétendre après, le vin eût retrempé