Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/59

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possédez la grâce merveilleuse de Guido et l’énergie d’Annibal ; mais assurément vous surpassez nos maîtres d’ici qui se gonflent tant de l’Académie de San-Luca, les Tiarini, les Gessi, les Sementa et le reste, sans même excepter Lanfranc, qui ne sait peindre que sur la chaux. Et pourtant, Antonio ! si j’étais à votre place je réfléchirais avant d’abandonner la lancette pour ne plus prendre en main que le pinceau. Ceci sonne étrangement à l’oreille ; mais écoutez-moi, l’art est arrivé à une époque critique, ou plutôt je pense que le diable a pris à tâche de faire une rude guerre aux artistes. Or, si vous n’êtes pas préparé à subir toute sorte d’affronts, car plus haut atteindra votre mérite, plus vous aurez à essuier de dédains et de mépris : partout, à chaque progrès de votre renommée, il faut s’attendre à voir surgir en même temps mille envieux malfaisants qui, sous le masque de l’amitié, s’empresseront autour de vous pour vous perdre plus sûrement ; si vous n’êtes pas, dis-je, préparé à tout cela, ne songez plus à la peinture. Rappelez-vous le sort de votre maître, du grand Annibal, si odieusement persécuté par la tourbe de ses lâches confrères, qu’il ne put obtenir un seul ouvrage important à exécuter et qu’on le vit même honteusement rebuté en toute occasion, jusqu’à ce que le désespoir amenât sa mort prématurée. Oubliez-vous ce qui arriva à notre Dominiquin, occupé à peindre la chapelle de Saint-Janvier ? Ces peintres enragés, je m’abstiens d’en désigner aucun, pas même les infâmes Bélisario et Ribera ! ne séduisirent-ils pas son domestique pour qu’il