Page:Hoffmann - Contes fantastiques I.djvu/64

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peau à haute forme orné d’un superbe panache ; il portait un petit manteau rouge-brun bordé d’une quantité de boutons luisants, un pourpoint espagnol à crevées bleu de ciel, des gants à revers et à franges d’argent, un long estoc au côté, des bas gris-clair modelant les os anguleux des genoux et attachès avec des rubans jaunes pareils aux bouffettes des souliers.

Cette drôle de figure restait debout comme en extase devant le tableau d’Antonio, s’élevant sur la pointe des pieds, se rapetissant, sautillant par bonds en avant et en arriére, gémissant, soupirant, tantôt fermant les yeux si violemment que les larmes en ruisselaient, puis les rouvrant, les dilatant et contemplant immobile la charmante Madeleine, tantôt grommelant et chuchotant de sa voix claire et langoureuse comme celle d’un eunuque : « Ah ! carissima ! benedettissima. Ah ! Marianna ! Marianinna bellissima ! » etc… — Salvator, extrêmement curieux des originaux de cette espèce, fendit la presse pour se rapprocher du vieillard dans le dessein de lier conversation avec lui sur le tableau qui paraissait le transporter à l’excés. Sans accueillir Salvator d’une attention expresse, le vieux se prit à maudire sa pauvreté qui ne lui permettait pas d’acquérir le tableau dont il eût donné un million pour l’avoir à lui seul et le dérober à tant de regards profanes. Puis il sauta de nouveau à droite, à gauche, et rendit grâces à la Vierge et à tous les saints de la mort du peintre, infâme auteur de cet ouvrage ravissant qui causait sa rage et son désespoir. — Salvator conclut que cet