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Page:Hoffmann - Contes mystérieux, trad. La Bédollière.djvu/10

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contes mystérieux

— Vite ! cria-t-il, vite ! Aline, du feu dans la cheminée, du vulnéraire, du thé, du punch ! prépare un lit.

Aline ne bougeait pas ; mais continuait, tout en regardant la dame, ses :

— Comment ? qu’est-ce que ? que veut dire cela ?

Alors Peregrinus parla d’une comtesse, peut-être bien d’une princesse, qu’il avait trouvée chez le relieur Lammer Hirt, qui avait perdu connaissance dans la rue, et qu’il lui avait fallu porter à la maison, et il se mit à crier, en voyant Aline rester encore tranquille, et frappant du pied :

— Au nom du diable ! du feu, vous dis-je, du thé, du vulnéraire !

Alors les yeux de la vieille flamboyèrent comme des yeux de chat, et son nez parut s’allonger et briller d’un éclat phosphorique. Elle alla chercher dans sa poche sa tabatière noire, frappa sur le couvercle si fort qu’il en retentit, et pris une grande prise. Puis elle mit ses deux bras sur ses hanches ; et dit d’un son railleur :

— Voyez-vous ça ! une comtesse, une princesse, que l’on rencontre chez le pauvre relieur de la rue Kalbech, et qui se trouve mal au milieu de la rue. Oh ! oh ! je sais fort bien où l’on trouve des dames ainsi parées pendant la nuit. Voilà de jolis tours et une belle conduite ! Apporter une fille effrontée dans une maison honnête, et, pour combler la mesure, invoquer le diable un jour de nuit de Noël ! Et je prêterais les mains à cela dans mes vieux jours ! Non, monsieur Tyss, allez-en chercher une autre, cela ne me regarde plus ; je quitte demain la maison.

Et la vieille sortie, et ferma la porte avec tant de force que tout en retentit.

Peregrinus se tordait les mains d’inquiétude et de désespoir. La dame ne donnait aucun signe de vie. Cependant, au moment où, dans son trouble extrême, il venait de trouver une bouteille d’eau de Cologne, et se préparait à en frotter adroitement les tempes de la dame, celle-ci s’élança tout d’un coup fraiche et gaillarde du sofa en criant :

— Enfin nous sommes seuls ! enfin, ô mon Peregrinus ! je puis te dire pourquoi je t’ai poursuivi jusque dans la demeure du relieur Lammer Hirt, et pourquoi il ne m’était pas possible de te quitter cette nuit. Peregrinus, livrez-moi le prisonnier que vous tenez enfermé près de vous, dans votre chambre. Je sais que vous n’y êtes forcé en aucune façon, et que cela dépend absolument de votre bon vouloir : mais je connais aussi votre bon et tendre cœur : ainsi donc, mon cher Peregrinus ! donnez la liberté à votre prisonnier.

— Comment ! dit Peregrinus dans le plus profond étonnement, quel prisonnier ? Qui est enfermé chez moi ?

— Oui, continua la dame en saisissant une de ses mains et la serrant tendrement contre sa poitrine ; oui, je dois le reconnaître, un esprit grand et noble peut seul abandonner les avantages que lui a donnés un heureux hasard. Il est vrai que vous renonceriez à plusieurs choses qu’il vous serait facile d’obtenir si vous refusiez de lui rendre la liberté, mais réfléchissez, Peregrinus, que le sort, que la vie d’Aline dépend tout à fait de la possession de ce prisonnier que…

— Si vous ne voulez pas, femme angélique, interrompit Peregrinus, que je regarde comme un rêve de fièvre tout ce qui m’arrive, et que je ne devienne pas fou sur la place, dites-moi de qui vous parlez, de quel prisonnier ?

— Comment ! répondit la dame, comment ! Peregrinus, je ne vous comprends pas ; voudriez-vous nier par hasard qu’il est véritablement votre captif ? N’étais-je pas là avec lui quand vous avez acheté la chasse ?

— Mais qui ? s’écria Peregrinus hors de lui. Quel est-il, lui ? C’est la première fois de ma vie que je vous vois, madame, qui êtes-vous ? et lui, quel est-il ?

Alors la dame, éperdue de douleur, se jeta aux pieds de Peregrinus, et s’écria, tout en versant des torrents de larmes :

— Peregrinus, sois humain, sois généreux, rends-le-moi.

Et priant ce temps, Peregrinus criait de son côté :

— J’en deviendrai fou !

Tout à coup la dame se remit. Elle parut plus grande qu’avant, ses yeux, jetèrent des flammes, ses lèvres tremblèrent, et elle dit avec ses gestes furieux :

— Ah ! barbare, tu n’as pas un cœur humain, tu es inexorable, tu veux ma mort, ma perte, tu ne vous pas me le rendre, non, jamais ! Ah ! malheureuse que je suis ! perdue ! perdue !

Et elle s’élança au dehors de la porte, et Peregrinus l’entendit descendre précipitamment l’escalier, tandis que ses gémissements remplissaient la maison tout entière, jusqu’au moment où un grand coup fut frappé à la porte de la maison.

Alors régna partout un silence de mort.


DEUXIÈME AVENTURE.


Le dompteur de puces. — Triste sort de la princesse Gamaheh à Famagasta. — Maladresse du génie Thétel. — Remarquables essais microscopiques. — La belle Hollandaise. — Singulière aventure du jeune sieur Georges Pépusch.


Il se trouvait dans ce temps à Francfort un homme qui avait une singulière profession. On l’appelait le dompteur de puces, parce qu’il était parvenu (et certes non sans peine) à donner une espèce d’instruction à ces animaux, et à leur apprendre différents jolis tours d’adresse.

Sur une grande table du plus pur et du plus beau marbre blanc on voyait avec étonnement des puces qui traînaient des canons, des caissons de poudre, des voitures, tandis que d’autres arrivaient en sautant, le fusil au bras, la giberne au dos, le sabre au côté.

Au commandement du maître, elles exécutaient les évolutions les plus difficiles, et tout paraissait plus vif et plus gai qu’avec des soldats véritables, parce que le commandement de marche s’exécutait en sauts et en entrechats admirables, et que les à droite et à gauche devenaient des pirouettes.

Toute l’armée avait un merveilleux aplomb, et le général paraissait en même temps un grand maître de ballet. Mais les voitures trainées par quatre, six et huit puces, paraissaient plus charmantes et plus étonnantes encore. Les cochers et les domestiques étaient des scarabées d’or de l’espèce la plus petite et presque invisibles ; mais il était à peu près impossible de reconnaître les personnages assis à l’intérieur.

On se trouvait naturellement forcé de penser à l’équipage de la fée Mab que le brave Mercutio, dans la tragédie de Roméo et Juliette de Shakspeare, décrit si bien que l’on peut croire qu’il lui a souvent passé sous le nez.

Mais c’était seulement en examinant toute la table avec une bonne loupe que l’on admirait dans son entier le talent du dompteur de puces ; car alors on voyait le luxe, la beauté des harnais, le travail précieux des armes, l’éclat, la netteté des uniformes, et l’on ne pouvait se défendre de l’étonnement le plus profond.

On avait peine à se figurer quel genre d’instruments devait employer le dompteur pour faire proprement, et dans les proportions voulues, certains petits accessoires, comme, par exemple, éperons, têtes de cannes, etc., et ce travail, qui pouvait passer pour un chef-d’œuvre de tailleur, et qui ne consistait en rien moins que de livrer à une puce des pantalons de cheval, où la prise de la mesure, qui semblerait devoir être des plus difficiles, devenait par le fait une chose des moins difficiles à faire et des moins importantes.

Le dompteur de puces recevait d’innombrables visites, la salle était continuellement remplie de personnes que n’effrayait pas le haut prix des billets d’entrée.

Le soir aussi la foule était grande, plus grande encore, car il venait aussi alors d’autres personnes, qui n’attachaient pas beaucoup d’importance à toutes ces habiles niaiseries, mais qui s’y rendaient pour admirer une œuvre qui avait une tout autre importance, et qui attirait l’attention des véritables amateurs de l’étude de la nature. Cette œuvre était un microscope de nuit qui, semblable au microscope de jour, avait la forme d’une lanterne magique, et dessinait sur le mur les objets éclairés avec une clarté et une exactitude qui ne laissaient rien à désirer.

Le dompteur de puces faisait aussi un commerce de ces microscopes, les plus beaux que l’on pût trouver, et on les payait très-cher et avec grand plaisir.

Or un jeune homme, nomme Georges Pépusch, avec lequel le lecteur fera bientôt plus ample connaissance, éprouve le désir d’aller visiter le dompteur de puces, quoiqu’il fût déjà tard.

Arrivé déjà sur les escaliers, il entendit une altercation qui devenait de plus en plus vive, et qui enfin dégénéra en cris et en malédictions, et comme il allait entrer, la porte de la salle s’ouvrit avec violence, et des hommes s’en précipitèrent confusément mêlés ensemble. Ils étaient pâles et semblaient remplis d’effroi.

— Le maudit sorcier ! le suppôt de Satan ! je veux l’appeler en justice ! Il faut qu’il quitte la ville, l’affreux escamoteur !

Ainsi criaient ces gens, talonnés par l’effroi, et cherchant à sortir de la maison au plus vite.

Un regard jeté dans la salle apprit aussitôt au jeune Pépusch la cause de la peur terrible qui mettait tous ces gens en fuite. Tout vivait là dedans. Une dégoûtante mêlée des plus affreuses créatures remplissait la chambre. La race des pucerons, des hannetons, des araignées, des insectes qui vivent dans la vase, grossis d’une manière démesurée, étendaient leurs trompes, marchaient sur leurs longues pattes velues, et les terribles fourmilières déchiraient de leurs tenailles dentelées les moucherons, qui se défendaient et les frappaient de leurs longues ailes, et pendant ce temps des serpents du vinaigre, des anguilles de colle, des polypes à cent bras s’entrelaçaient, et à travers les intervalles de leurs replis, des animaux d’infusion passaient leur tête, semblable à une laide face humaine.

Pépusch n’avait jamais rien vu de plus affreux, et il se sentait déjà glacé d’effroi, lorsque quelque chose d’informe vint lui voler à la figure. Il se trouva tout d’un coup enveloppé d’un nuage de farine. Alors sa peur se dissipa, car il s’aperçut aussitôt que ce ne pouvait être que la perruque ronde du dompteur de puces, et c’était elle en effet.

Lorsque Pépusch eut essuyé la poudre de ses yeux, tout ce monde désordonné d’insectes avait disparu. Le dompteur de puces était étendu hors d’haleine dans un grand fauteuil.

— Leuwenhoek, dit Pépusch, Leuwenhoek, vous voyez ce qui vous