– Les farces ridicules sont dans votre tête, s’écria Pépusch courroucé ; plus tard vous vous repentirez de vos folies, charlatan entêté, je vais à la recherche d’Elverding. Mais, pour que vous ne tourmentiez plus d’honnêtes gens…
Pépusch mit la main sur la vis qui mettait en mouvement tout le mécanisme du microscope.
– Tuez moi de suite ! s’écria le dompteur de puces. Mais dans le même moment tout craqua à la fois, et le dompteur tomba sans connaissance sur le parquet.
Comment peut-il se faire, se disait Georges Pépusch à lui-même lorsqu’il se trouva dans la rue, qu’un homme à qui il faut absolument une chambre bien chaude et un lit bien rembourré, se soit mis à errer par les rues, dans la nuit, avec l’orage et la pluie les plus terribles ? S’il a oublié la clef de sa maison, et si, joint à cela l’amour, un désir fou l’a poussé, qu’il s’en prenne à lui-même.
Il avait beau frapper et sonner…
Et alors toute sa conduite lui parut une folie. Il se rappela le moment où il avait vu Dortje Elverding pour la première fois.
Le dompteur de puces avait pendant plusieurs années montré son habile spectacle, et avait attiré un nombreux concours de monde tant que la chose avait été nouvelle.
Bientôt les puces exercées et éduquées furent connues de tous, et l’on n’accorda plus d’admiration au tailleur, au sellier, à l’armurier de tous ces petits êtres, bien que l’on eût dans le principe parlé de magie, de choses incompréhensibles ; le dompteur de puces parut être complétement oublié.
Bientôt le bruit courut qu’une nièce du dompteur, qui jusqu’alors ne s’était pas montrée, assistait aux représentations. Cette nièce, disait-on, était si belle, si gracieuse et si bien parée, qu’il était impossible de s’en faire une idée.
Le monde changeant des jeunes modernes qui donnent ordinairement le ton et la mesure dans le monde, comme d’habiles chefs d’orchestre, s’y précipita en foule ; et comme parmi ces sortes de personnes on ne connaît que les extrêmes, la nièce du dompteur causa un prodige inconnu jusqu’alors.
Le bon ton fut de visiter le dompteur. Quiconque n’avait pas vu la nièce du dompteur était un homme auquel il n’était pas permis de parler.
Le dompteur se trouva ainsi hors d’embarras ; mais personne ne pouvait s’habituer au prénom de Dortje de la jeune fille. Et comme justement dans le même temps madame Bethmann, une célèbre actrice, s’était montrée tendre, ravissante, adorable dans le rôle de la reine de Golconde et avait paru l’idéal de ce charme inexprimable qui ravit chez les femmes, on donna à la Hollandaise le nom d’Aline.
Dans ce temps Georges Pépusch vint à Berlin. La belle nièce de Leuwenhoek était le sujet de toutes les conversations ; et à la table d’hôte de l’hôtel où Pépusch était logé on ne parla pendant tout le temps du dîner que des attraits merveilleux de la jeune fille, qui séduisaient les jeunes, les vieux et même les femmes, et on l’invita d’une manière pressante à se mettre au plus tôt au courant de ce qui était de plus haute mode à Berlin en allant voir la jeune Hollandaise.
Pépusch avait un tempérament mélancolique et impétueux. Chaque plaisir était pour lui trop infailliblement suivi d’un déboire, et cela le rendait sombre, taciturne et souvent injuste pour son entourage. On peut d’après cela penser que Pépusch n’était pas très-disposé à courir après les filles jeunes et jolies ; il alla pourtant chez le dompteur de puces, plus pour confirmer l’opinion qu’il s’était déjà formée d’avance que pour voir la merveille dangereuse. Il trouva la Hollandaise très-jolie, gracieuse, agréable, et en la regardant il dut sourire complaisamment à sa sagacité, qui lui avait fait deviner d’avance que les têtes que la petite avait complétement fait tourner étaient déjà assez mobiles.
La belle possédait admirablement le ton léger et plein d’aisance qui témoigne de l’habitude de vivre dans le plus haut monde. Avec cette gracieuse coquetterie qui invite à presser le bout du doigt que l’on présente amicalement, elle savait, tout en attirant les soupirants, les tenir dans les bornes de la plus aimable convenance.
Personne ne s’inquiéta de l’étranger Pépusch, qui eut le loisir d’observer la belle enfant dans toutes ses manières ; et après avoir longtemps et longtemps considéré son charmant visage, il s’éleva dans le fond de sa pensée un vague souvenir, comme s’il avait déjà vu quelque part cette Hollandaise, mais tout autrement entourée et dans un tout autre costume ; il lui semblait même qu’elle devait alors avoir eu une autre forme.
En vain il se tourmenta pour rendre ce souvenir moins confus, bien que la pensée d’avoir déjà vu la petite gagnât chez lui toujours plus de certitude.
Deux savants observaient le cours des astres.
Le sang lui monta au visage lorsque enfin quelqu’un le poussa légèrement et murmura ces mots à son oreille :
— N’est-ce pas, monsieur le philosophe, que vous avez aussi été frappé par la foudre ?
C’était son voisin de la table d’hôte, auquel il avait dit qu’il considérait l’extase dans laquelle tout le monde était plongé comme une folie, qui devait se dissiper aussi vite qu’elle était venue.
Pépusch remarqua que la salle était presque vide, et que les dernières personnes en sortaient, tandis que son regard était resté invariablement fixé sur la petite. Elle le salua avec un gracieux sourire amical.
L’image de la Hollandaise ne quittait plus Pépusch ; elle le martyrisait pendant ses nuits sans sommeil, passées à rassembler, mais en vain, jusqu’à la moindre trace de ses souvenirs. Sa vue pouvait seule aider sa mémoire ; et dans cette idée il résolut d’aller le jour suivant et tous les autres jours rendre visite au dompteur de puces,