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la princesse brambilla.

— Croyez-vous donc que la princesse Brambilla doive courir à votre rencontre, et avez-vous oublié le palais Pistoja ?

— Oh ! oh ! s’écria le prince, taisez-vous bec jaune indiscret, réjouissez-vous de vous être sauvé de la cage. Regardez-moi bien, mes amis, et dites-moi si je ne suis pas l’oiseau au plumage varié, qui doit être pris dans le filet ?

Le peuple fit entendre une seconde fois des rires frénétiques, mais tout à coup le capitan Pantalon tomba à genoux comme hors de lui, car devant lui se tenait la belle des belles, dans tout l’éclat de sa grâce et de sa beauté et sous le même costume qu’elle avait eu la première fois dans le Corso. Seulement, sur son front un diamant magnifique, d’où partait un bouquet de plumes variées, avait remplacé le petit chapeau.

— Je me donne à toi tout entier, s’écria le prince plein de ravissement ; vois ces plumes sur mon casque, c’est le blanc étendard que j’ai déployé c’est le signe que j’arbore pour me rendre à toi sans conditions, être céleste.


C’est vous, mon prince !

— Cela devait être, répondit la princesse. Tu devais te soumettre à moi, ta reine ; car autrement tu n’aurais pas eu de patrie, et tu serais resté un prince misérable. Ainsi donc, jure-moi fidélité éternelle par ce symbole de ma domination absolue.

Et en même temps la princesse tira une charmante petite pantoufle et la présenta au prince, qui, après avoir fait le serment qu’on lui demandait, la baisa trois fois.

Aussitôt un bruit de voix perçantes s’écria :

— Brambure bil bal. — Alamonsa kiki burra son-ton !

Et le couple fut entouré des dames voilées que l’on a vues au premier chapitre entrer dans le palais Pistoja, et derrière lesquelles se tenaient onze Maures brillamment costumés qui, en place de leurs longues piques, tenaient dans les mains des plumes de paon d’un éblouissant éclat et qui se balançaient çà et là dans les airs. Les dames jetèrent sur le couple des voiles-filets qui, devenant de plus en plus épais et serrés, l’enveloppèrent d’une obscurité profonde.

Mais au bruit retentissant des cors, des cymbales et des petites cloches argentines, les nuages des filets tombèrent, et le couple se trouva dans le palais Pistoja dans la salle même dans laquelle l’imprudent comédien Giglio Fava était entré.

Mais cette salle était plus resplendissante, beaucoup plus resplendissante qu’elle n’avait été. Car, à la place de l’unique lustre qui l’éclairait, plus d’une centaine de lustres pareils se trouvaient suspendus de tous côtés, et donnaient une lumière qui égalait l’éclat du feu.

Les colonnes de marbre qui supportaient la coupole étaient entourées de ravissantes couronnes de fleurs. On ne savait, en regardant le feuillage étrange qui courait sur le plafond, si c’étaient tantôt des enfants gracieux, tantôt des oiseaux au riche plumage, tantôt des figures d’animaux bizarres, qui se trouvaient comme mêlés dans les tresses de verdure, et qui paraissaient s’y mouvoir, et entre les plis des draperies d’or du baldaquin du trône, brillaient, tantôt ici, tantôt là, des visages riants de belles jeunes filles. Les dames étaient là encore, mais plus splendidement vêtues, elles formaient un cercle ; elles ne faisaient plus de filet ; mais tantôt elles répandaient dans la salle des fleurs contenues dans des vases d’or, et tantôt agitaient des encensoirs, d’où s’élançaient des flots de parfums odorants.

Et sur le trône se tenaient tendrement embrassés l’enchanteur Ruffiamonte et le prince Bastianello de Pistoja.

Il est inutile de dire que celui-ci n’était nul autre que le charlatan Celionati. Derrière le couple princier, c’est-à-dire derrière Cornelio Chiapperi et la princesse Brambilla, était un petit homme entouré d’une tunique de diverses couleurs, et il tenait dans les mains une charmante petite boîte d’ivoire, dont le couvercle était ouvert, et qui ne renfermait qu’une étincelante aiguille, et qu’il regardait fixement avec un joyeux sourire.

L’enchanteur Ruffiamonte et le prince Bastianello cessèrent leurs embrassements et se tinrent seulement les mains entrelacées ; mais le prince cria aux autruches d’une voix forte :

— Eh da ! bonnes gens, apportez ici le grand livre, pour que mon bon ami, l’honorable Raffiamonte, lise ce qui reste à lire.

Les autruches s’éloignèrent en battant des ailes et rapportèrent le gros livre qu’elles posèrent sur le dos d’un Maure agenouillé, et elles l’ouvrirent.

Magnus, qui, malgré sa longue barbe blanche, paraissait jeune et beau, s’avança, toussa un peu, et lut les vers suivants :


Béatrice.

« Italie ! pays dont le gai ciel rayonnant de lumière allume les plaisirs de la terre dans sa plus riche fleur ! Ô belle Rome, où le joyeux tourbillon des masques détache le sérieux du sérieux ! les fantômes de la fantaisie badinent joyeux sur la scène variée, petite et ronde comme l’œuf. C’est le monde, empire des revenants gracieux. Le Génie peut enfanter de son moi le non-moi ; il peut se déchirer lui-même son propre sein. La douleur de l’existence est changée en un vif plaisir. Le pays, la ville, le monde, le moi, tout est trouvé maintenant. Déjà se répandent les flots d’une douce harmonie, tout se tait pour l’écouter. Les sources et les bois soupirent et murmurent dans les lointains : « Ouvre-toi ! pays enchanté, embelli par mille joies ! Ouvre-toi pour changer un désir contre un nouveau désir, quand il se contemple lui-même dans les fontaines d’amour ! Les vagues s’élèvent : partez, jetez-vous dans les flots avec le courant ; bientôt vous atteindrez la rive, et une immense extase brillera dans les ardeurs du feu. »


Magnus ferma le livre avec bruit, et au même instant une vapeur ardente s’éleva de l’entonnoir d’argent qu’il portait sur la tête, et