Page:Hoffmann - Contes mystérieux, trad. La Bédollière.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

costume de héros le prince, qu’il avait suivi pas à pas. Rappelez aussi à ce couple charmant ce que j’ai fait dans toute cette œuvre.

— C’est juste, reprit le prince, et cela parce que vous fûtes aussi un homme étonnant, un tailleur qui désirait des hommes fantastiques pour les habits fantastiques qu’il savait faire ; votre secours m’a été très-utile, et je vous ai fait à la fin impresario du rare théâtre où règnent l’ironie et la véritable humeur.

— Je me suis toujours conduit, dit maître Bescapi en riant avec une grande gaieté, comme un homme qui veille attentivement à ce que rien ne soit gâté dans la coupe, la forme ou le style.

— Très-bien dit, maître Bescapi ! s’écria le prince de Pistoja.

Pendant que le prince, Giglio et Bescapi s’entretenaient entre eux de diverses choses, Giacinta, dans une gracieuse activité, ornait la chambre et la table de fleurs, que la vieille Béatrice avait dû aller chercher en grande hâte ; puis elle alluma des bougies, et lorsque tout eut un brillant aspect de fête, elle fit asseoir le prince dans un fauteuil qu’elle avait si bien paré de riches étoffes et de tapis, qu’il avait l’apparence d’un trône.

— Une personne que nous avons surtout à craindre, dit le prince avant de s’asseoir, parce qu’elle peut former sur nous une critique sévère, et même nous disputer l’existence, pourrait peut-être dire que je suis venu ici au milieu de la nuit, sans plus de façons, exprès pour elle, et cela pour lui dire le rôle que vous aviez dans l’enchantement de la reine Mystilis, qui après tout n’est autre que la princesse Brambilla.

Cette personne aurait tort, car je vous dis que je suis venu, et que je reviendrai chaque fois à l’heure mystérieuse où vous vous êtes reconnus, pour me complaire avec vous à l’idée que nous devons regarder comme riches et heureux nous et tous ceux auxquels il a été donné de voir et de reconnaître dans l’étrange miroir brillanté du soleil de l’Urdar la vie, leur personne et tout leur être.

Ici se ferme tout à coup, ô bienveillant lecteur, la source où l’éditeur de ces feuilles a puisé jusqu’à présent.

Seulement une obscure légende ajoute que le macaroni et le vin de Syracuse furent très-goûtés du prince de Pistoja, de l’impresario Bescapi et des deux époux. Il est à supposer que ce soir même, et aussi après, il sera arrivé aux deux heureux comédiens époux, alors qu’ils se trouvaient en rapport direct avec la reine Mystilis et de grands enchanteurs, bien d’autres choses merveilleuses.

Maître Callot serait le seul qui pourrait plus tard nous donner des indications à ce sujet[1].



CASSE-NOISETTE ET LE ROI DES SOURIS


LE JOUR DE NOËL.


Au vingt-quatre décembre, la chambre du milieu et bien plus encore le salon qui y donnait furent formellement interdits aux enfants du médecin consultant Stahlbaum. Fritz et Marie se tenaient assis l’un près de l’autre dans un coin de la chambre du fond. Le crépuscule du soir était déjà descendu, et ils éprouvaient une certaine crainte en ne voyant pas apporter de la lumière comme cela se faisait d’habitude à cette heure du jour. Fritz raconta, en parlant bien bas à sa jeune sœur (elle était âgée de sept ans), qu’il avait entendu frapper et aller et venir dans la chambre fermée, et aussi qu’il n’y avait pas bien longtemps qu’un petit homme, tenant une cassette sous le bras, s’était glissé dans l’escalier.

— Pour sûr, ajouta-t-il, ce petit homme est le parrain Drosselmeier.

Alors la petite Marie frappa ses petites mains l’une contre l’autre et s’écria toute joyeuse :

— Ah ! le parrain Drosselmeier aura fait pour nous quelque belle chose !

Le conseiller de la haute cour de justice, Drosselmeier, n’était pas beau. Il était petit et maigre, avait un visage sillonné de rides ; il portait un grand emplâtre noir sur l’œil droit, et il était chauve, ce qui l’obligeait à porter une jolie perruque blanche, mais faite en verre avec un art merveilleux.

En outre, le parrain était un homme très-habile, qui s’entendait très-bien en horlogerie, et faisait lui-même des montres au besoin. Aussi, quand une des belles pendules de la maison de Stahlbaum était malade et ne voulait plus chanter, alors le parrain Drosselmeier arrivait. Il ôtait sa perruque de verre, retirait son habit jaunâtre, ceignait un tablier bleu, et plongeait dans les ressorts des instruments pointus qui faisaient mal à la petite Marie ; mais il ne faisait aucun mal à la pendule ; bien au contraire, elle recommençait à s’animer, et aussitôt elle se mettait à gronder, à battre et à chanter toute joyeuse, ce qui causait un grand plaisir.

Quand il venait, le parrain apportait toujours quelque jolie chose dans sa poche pour les enfants, tantôt un pantin qui tournait les yeux et faisait des courbettes bien comiques, tantôt une tabatière d’où s’élançait un petit oiseau ou quelque autre chose du même genre. Mais au jour de Noël c’était toujours quelque bel ouvrage artistement exécuté par lui, et qui lui avait coûté beaucoup de travail, et que les parents conservaient avec soin après qu’il en avait fait le don.

— Ah ! le parrain Drosselmeier aura fait quelque belle chose pour nous ! répéta la petite Marie.

Mais Fritz dit :

— Ce sera une citadelle dans laquelle de jolis soldats marchent et font l’exercice, et alors d’autres soldats doivent venir y entrer de force, et ceux de l’intérieur tirent bravement des coups de canon, ce qui fait un grand tapage.

— Non ! non ! interrompit Marie ; le parrain Drosselmeier m’a parlé d’un grand jardin où il y a un grand lac, et dans ce lac nagent des cygnes magnifiques, avec des colliers d’or, et ils chantent les plus belles chansons. Alors une petite fille sort du jardin, et elle appelle sur le lac les cygnes, et leur donne de la bonne frangipane à manger.

— Les cygnes ne mangent pas de frangipane, reprit Fritz un peu durement, et le parrain Drosselmeier ne peut pourtant pas faire tout un grand jardin. Par le fait, nous gardons peu ses joujoux ; on nous les reprend toujours ; j’aime mieux ceux que nous donnent papa et maman : on nous les laisse, et nous en faisons ce que nous voulons.

Puis les enfants se demandèrent ce que l’on pourrait bien leur donner cette fois.

— Mademoiselle Trudchen (sa grande poupée), dit Marie, est bien changée ; elle est d’une maladresse… À chaque moment elle tombe sur le plancher, ce qui lui fait de vilaines taches sur le visage, et il est impossible maintenant de penser à nettoyer sa robe. J’ai beau la gronder, c’est du temps perdu !

— Mon écurie, reprit Fritz, a besoin d’un beau cheval, et mes troupes manquent complétement de cavalerie ; et papa le sait bien.

Les enfants n’ignoraient pas que leurs parents avaient acheté pour eux de jolis cadeaux, et leur sœur aînée, Louise, leur avait dit que c’était le Christ saint lui-même qui donne aux enfants, par les mains de leurs bons parents, ce qui peut leur causer une véritable joie ; qu’il savait mieux qu’eux ce qui pouvait leur convenir, et que pour cela il ne fallait ni espérer ni former des désirs, mais attendre pieusement et tranquillement les cadeaux qui devaient leur être distribués.

La petite Marie était restée toute pensive, mais Fritz murmurait tout bas :

— Je voudrais pourtant bien avoir un cheval et des hussards !

L’obscurité était tout à fait venue. Fritz et Marie, serrés l’un contre l’autre, n’osaient plus parler. Il leur semblait entendre un léger frôlement d’ailes autour d’eux, et aussi une belle musique qui retentissait dans le lointain. Une lueur brillante vint rayer le mur, et alors Fritz et Marie comprirent que le Christ enfant venait de s’envoler sur des nuages éclatants de lumière pour aller visiter d’autres enfants heureux. Au même instant, on entendit résonner un timbre argentin.

Klingling ! klingling ! Les portes s’ouvrirent, et il s’élança de la grande chambre une telle lumière, que les enfants restèrent immobiles sur le seuil en poussant un cri d’admiration. Mais papa et maman s’avancèrent vers la porte, et prirent leurs enfants par la main en leur disant :

— Venez, venez, chers enfants, et voyez ce que le Christ saint vous a donné.


LES DONS.


Je m’adresse à toi, bon lecteur, pour te prier de te remettre en mémoire les derniers beaux cadeaux qui resplendissaient pour toi sur la table de Noël, et alors tu comprendras comment les enfants restèrent muets et immobiles, la joie dans les yeux, et comment après une petite pause Marie s’écria :

— Ah ! que c’est beau ! que c’est beau !

Et comment Fritz essaya quelques cabrioles, qu’il réussit à merveille.

Mais les enfants devaient avoir été bien gentils et bien sages pendant l’année entière, car jamais leurs cadeaux n’avaient été aussi magnifiques que cette fois. Le grand pin au milieu de la table portait une foule de pommes d’or et d’argent ; des pralines et des bonbons de toute sorte en représentaient les boutons et les fleurs, et de beaux et nombreux jouets étaient suspendus à toutes les branches. Mais ce qu’il y avait de plus beau dans l’arbre merveilleux, c’était une centaine de petites bougies, qui brillaient comme des étoiles dans son sombre feuillage, et tandis qu’il semblait avec ses lumières, au dedans et au dehors, inviter les enfants à cueillir ses fleurs et ses fruits. Tout resplendissait riche et varié. Que de belles choses se trouvaient là, et qui pourrait essayer de les décrire ? Marie regardait les plus belles poupées, toutes sortes de charmants petits ustensiles de ménage ; et ce qui attirait le plus les yeux de la petite Marie, c’était

  1. Le lecteur aura deviné sans doute que par ce conte, un peu trop mystérieux peut-être, Hoffmann a voulu protester contre le mauvais goût de son époque, et le combattre par le ridicule. (Note du traducteur.)