Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/149

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vue sous les murs de Grenade. Attendant vainement du renfort, cerné de jour en jour plus étroitement, le lâche Boabdil se désespérait, et raillé amèrement par le peuple, qui ne le désignait que sous le nom de roitelet, il ne trouvait de consolation momentanée que dans les victimes qu’il immolait à sa cruauté sanguinaire. Mais plus l’abattement et le désespoir s’emparaient du peuple et de l’armée de Grenade, plus l’espoir de la victoire et la soif du combat devenaient vifs dans le camp espagnol. Il ne fallait pas livrer d’assaut. Ferdinand se contentait de diriger ses pièces contre les remparts de la ville et de repousser les sorties des assiégés. Ces petits combats ressemblaient plutôt à de gais tournois qu’à des batailles sérieuses. La mort même contribuait à relever les âmes des survivants, vu qu’elle apparaissait avec la pompe des cérémonies religieuses et l’auréole rayonnante du martyre de la foi.

Aussitôt qu’Isabelle fut entrée dans le camp, elle y fit construire au milieu un édifice en bois flanqué de tours, du haut desquelles la bannière de la croix voltigeait dans les airs. L’intérieur en fut disposé en cloitre et en église, et des religieuses bénédictines y furent installées pour célébrer journellement l’office divin. La reine, entourée de sa suite et de ses chevaliers, vint chaque matin entendre dire la messe à son confesseur ; les répons étaient chantés par les religieuses rassemblées au chœur.

Un matin, Isabelle distingua une voix qui dominait merveilleusement les autres. Son chant ressemblait aux accents mélodieux du rossignol, ce roi des foréts, qui commande à tout le peuple des oiseaux. Et pourtant la prononciation des paroles était si étrangère, la manière de chanter était même si originale et si singulière, qu’elle annonçait une chanteuse encore peu faite au style de l’église. Isabelle étonnée jeta les yeux autour d’elle, et s’aperçut que sa suite partageait son étonnement ; mais elle comprit bientôt qu’il s’agissait ici d’une aventure particulière, quand elle arrêta son regard sur le noble général Aguillar, qui se trouvait parmi les courtisans. À genoux sur son prie-Dieu, il tenait fixés sur le chœur ses yeux sombres et remplis d’une ardeur brûlante. La messe finie, Isabelle se rendit à la chambre de la prieure dona Maria pour prendre des renseignements sur la chanteuse étrangère.

— Veuillez, ô reine ! dit dona Maria, vous souvenir qu’il y a un mois, Aguillar conçut le projet de surprendre et d’emporter cet ouvrage