Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/271

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mystérieusement. Je ne pouvais saisir à la volée que le nom du baron, et quelques mots sans suite qui me faisaient deviner qu’il était question de l’art musical et de leçons de musique.

Je remarquai surtout qu’un rire sardonique errait sur les traits de Duport, qu’il s’adressait avec une certaine malice au chef d’orchestre ; que celui-ci lui ripostait à voix basse, et ne pouvait de son côté réprimer son envie de rire. Enfin, se retournant vivement et prenant son violon pour donner l’accord, il s’écriait — Quoi qu’il en soit, c’est et ce sera toujours un homme supérieur.

Je ne pus m’empêcher, malgré le danger que je courais d’être éconduit d’une manière un peu brusque, de prier le chef d’orchestre, si toutefois cela était possible, de me présenter chez le baron de B***, et de me faire admettre à ses concerts.

Haak me regarda avec de grands yeux, je crus qu’un léger orage allait éclater sur ma tête ; mais je m’étais trompé. L’air sévère du chef d’orchestre fit bientôt place à un rire singulier.

— Eh bien ! dit-il, tu peux avoir raison de me faire cette demande ; la connaissance du baron peut être très utile à ton instruction. Je lui parlerai de toi, et je crois qu’il t’accordera aisément la permission d’assister à ses concerts ; car il aime beaucoup avoir affaire aux jeunes virtuoses.

Peu de temps après, je jouai avec Haak plusieurs duos de violon très difficiles.

— Charles, me dit-il en mettant son violon de côté, endosse ce soir ton habit des dimanches et tes bas de soie. Viens ensuite chez moi. De là nous irons ensemble chez le baron de B*** ; il y aura peu de monde, et ce sera une bonne occasion de te présenter. Le cœur me battit de joie, car j’espérais, je ne savais moi-même pas pourquoi, entendre de la musique extraordinairement remarquable. Nous allâmes chez le baron.

Le baron était d’une taille un peu au-dessus de la moyenne, avancé en âge, et revêtu d’un costume de cérémonie brodé à l’ancienne mode française. Il vint à notre rencontre quand nous entrâmes dans l’appartement, et secoua avec affabilité la main de mon maître.

Jamais, en présence d’aucun homme de distinction, je n’avais senti plus de vénération et plus de sympathie. Le visage du baron respirait la plus franche cordialité, et dans ses yeux brillait ce feu sombre qui annonce ordinairement les artistes doués d’une véritable vocation.