Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/338

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Lorsqu’on venait à parler du dernier siége de Dresde1, la figure d’Anselme, ordinairement pâle, devenait plus pâle encore. Il joignait les mains ; ses genoux s’entre-choquaient ; ses regards fixes indiquaient l’agitation de son âme et le trouble de ses pensées.

— Bon Dieu ! disait-il en grommelant, comme je fourrai mes deux jambes dans mes bottes à l’écuyère ! Je ne fis attention ni à la mitraille ni aux grenades qui éclataient ; mais j’entrai dans la ville neuve par le nouveau pont. Et cet homme de haute taille que je rencontrai ! Qu’il est triste d’être enfermé dans cette maudite enceinte de remparts, de bastions, de parapets, de forts, de passages couverts ! Que de peines et de misères je fus obligé de supporter ! on n’avait rien à mettre sous la dent. Si en feuilletant le dictionnaire pour passer le temps l’on tombait sur le mot manger, on s’écriait avec étonnement : Manger ! qu’est-ce que cela ?… Des gens, qui avaient eu autrefois de l’embonpoint, boutonnaient leur propre peau comme une large camisole, comme un spencer naturel. Ô Dieu ! si l’archiviste Lindhorst avait encore vécu ! Popowicz voulait m’assommer, mais la nymphe argentée des eaux me sauva la vie… Ô Agafia !

À ce nom, Anselme avait coutume de s’élancer de sa chaise, de courir et de sautiller deux ou trois fois, et de se rasseoir ensuite. Il était parfaitement inutile de demander à Anselme ce que signifiaient ces simagrées et ces bizarres discours ; il se contentait de répondre :

— M’est-il possible de vous raconter tout ce qui m’arriva avec Popowicz et Agafia sans me faire passer pour un fou ?