Page:Hoffmann - Contes nocturnes, trad de La Bédollière, 1855.djvu/340

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qui m’entraîna, loin des arts et des sciences, au milieu de la sauvage et sanglante mêlée ; cette ardeur qui m’enflammait aux jours sombres de cette époque, je l’ai précisément ressentie cette nuit.

M’était-il possible de rester assis devant un bureau ? Je me traînait dans les rues, je suivais aussi loin que je le pouvais les troupes qui faisaient des sorties, uniquement pour voir par moi-même et pour puiser l’espérance dans ce que je voyais, car je n’avais pas égard aux vaines affiches et aux proclamations ampoulées. Lorsque enfin se donna la bataille de Leipzig, toute l’Allemagne poussa des cris de joie, fière et heureuse d’avoir reconquis son indépendance ; et nous, nous étions encore dans les chaînes de l’esclavage ! Il me semblait que je devais, par une action extraordinaire, chercher à procurer de l’air et de la liberté à moi et à tous ceux qui étaient comme moi captifs. Cela peut te paraître plaisant, d’après le caractère que tu me supposes ; niais j’eus la folle idée d’incendier et de faire sauter un fort où je savais que les Français avaient mis une forte provision de poudre.

L’ami d’Anselme ne put s’empêcher de sourire de l’héroisme subit du pacifique Anselme ; mais celui-ci ne put le remarquer à cause d l’obscurité, et poursuivit après un moment de silence :

— Vous m’avez tous dit très fréquemment qu’une disposition particulière de mon esprit me fait mêler aux événements qui me frappent des circonstances fabuleuses auxquelles personne ne crèit. Ces circonstances me semblent d’abord à moi-même le fruit de mon imagination ; mais elles prennent bientôt une forme en dehors de mon être, comme symbole mystique du merveilleux, que dans la vie nous rencontrons à chaque pas. C’est ce qui m’arriva à Dresde il y a aujourd’hui deux ans.

Tout le jour se passa dans un silence triste et plein de pressentiments ; tout demeura tranquille aux portes ; on ne tira pas un seul coup de fusil. Le soir, vers les dix heures, je m’acheminai vers un café du vieux marché. Là, au fond d’un cabinet retiré et caché, dans lequel ne pouvait entrer aucun étranger, des amis de même opinion s’encourageaient, se consolaient entre eux et s’entretenaient de leurs espérances. Ce fut là que, malgré tous les mensonges officieux, nous furent communiqués les véritables rapports des batailles de la Katzbach et de Culm, et que notre ami R*** nous annonça la victoire de Leipzig, qu’il avait apprise de je ne sais quelle manière mystérieuse.

En passant devant le palais de Bruhl, où demeurait le maréchal,