Page:Hoffmann - Contes posthumes, 1856, trad. Champfleury.djvu/290

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enfin, cousin ; sais-tu bien que je me suis vraiment ennuyé après toi ? Mon Dieu, quand même tu ne t’inquiètes pas de mes œuvres immortelles, je t’aime pourtant, va, parce que tu as l’esprit gai, et que tu es amusable sinon bien amusant. » À ce compliment de mon sincère cousin, je sentis le sang me monter au visage. « Tu t’imagines, continua-t-il sans faire attention à mon mouvement, tu t’imagines bien certainement que je suis en pleine convalescence, et même tout à fait délivré de mon mal. Il n’en est pourtant rien. Mes jambes sont des vassales tout à fait infidèles, qui sont en pleine révolte contre la tête de leur seigneur, et qui ne veulent plus rien avoir à faire avec le reste de mon cher cadavre. Cela veut dire, en un mot, que je ne puis plus bouger de place, et je me charrette humblement dans ce fauteuil à roues de côté et d’autre, d’après les très mélodieuses marches que mon vieil invalide me siffle, en souvenir de ses campagnes. Mais cette fenêtre est ma consolation. Ici, j’ai retrouvé la vie avec ses bigarrures, et je me sens maintenant en fort bon rapport avec ses agitations incessantes. Tiens, cousin, regarde plutôt là-bas. »

Je m’assis vis-à-vis de mon cousin sur un petit tabouret, dans l’embrasure de la fenêtre.

Le coup d’œil était en effet étrange et saisissant. Tout le marché ne ressemblait plus qu’à une masse populaire si étroitement pressée, qu’on eût pu croire qu’une pomme jetée à travers, n’eût jamais pu arriver jusqu’à terre. Les couleurs les plus différentes resplendissaient au soleil, par toutes petites places ; ce spectacle faisait sur moi l’effet d’un grand carré de tulipes ondoyant au gré du vent,