Aller au contenu

Page:Hoffmann - Contes posthumes, 1856, trad. Champfleury.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

éloignés de la résidence. Une lectrice fleuriste est pour un romancier un spectacle irrésistible. Il advint donc qu’après avoir depuis longtemps passé devant cet étalage, — qui est du reste exposé tous les jours, — en voyant lire la fleuriste, je m’arrêtai tout surpris. Elle était assise comme sous un épais berceau de géraniums en fleurs, le livre ouvert sur ses genoux, la tête appuyée dans les mains. Il fallait que le héros du roman se trouvât alors dans un danger sérieux ou que la lectrice en fût arrivée à un des moments importants de l’action, car les joues de la jeune fille s’animaient, ses lèvres frémissaient ; elle paraissait avoir complètement oublié son entourage. Cousin, je veux t’avouer d’une manière désintéressée la faiblesse étrange d’un écrivain. Tantôt j’étais pour ainsi dire cloué sur place ; tantôt je trottinais de ci et de là. Que peut donc lire cette jeune fille ? Cette idée occupait toute mon âme. La vanité d’écrivain s’agitait et me chatouillait du pressentiment que c’était une de mes œuvres à moi qui emportait en ce moment cette jeune fille dans le monde fantastique des rêveries. À la fin, je pris mon cœur à deux mains, j’entrai et m’informai du prix d’un pied d’œillets qui était au rang le plus éloigné. Pendant que la jeune fille allait me le chercher, je me mis à dire : — Qu’est-ce que vous lisez donc là, ma belle enfant ? en m’emparant du livre ouvert. Oh ! ciel ! c’était en effet un de mes livres. La jeune fille m’apporta les fleurs en m’en disant le prix. Que m’importaient les fleurs et les pieds d’œillets ? La jeune fille était pour moi en ce moment un public bien autrement précieux que tout le monde élégant de la résidence. Ému et tout enflammé du plus doux sentiment