Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 1.djvu/314

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Non seulement tout homme prévoit sa dissolution avec peine, mais encore il souhaite que sa mort soit un événement intéressant pour les autres. Mais comme on vient de le dire, il faut des talens, des bienfaits, des vertus pour que ceux qui nous entourent s’intéressent à notre sort & donnent des regrets à notre cendre. Est-il donc surprenant si le plus grand nombre des hommes occupés uniquement d’eux-mêmes, de leur vanité, de leurs projets puériles, du soin de satisfaire leurs passions aux dépens du contentement & des besoins d’une épouse, d’une famille, de leurs enfans, de leurs amis, de la société, n’excitent aucuns regrets par leur mort, ou soient bientôt oubliés. Il est une infinité de monarques dont l’histoire ne nous apprend rien, sinon qu’ils ont vécu. Malgré l’inutilité dans laquelle les hommes vivent pour la plûpart, le peu de soin qu’ils prennent pour se rendre chers aux êtres qui les environnent, les actions mêmes qu’ils font pour leur déplaire, n’empêchent pas que l’amour propre de chaque mortel ne lui persuade que sa mort doit être un événement, & ne lui montre, pour ainsi dire, l’ordre des choses renversé par son trépas. Homme foible & vain ! Ne vois-tu pas que les Sésostris, les Alexandres, les Césars sont morts ? La marche de l’univers ne s’est point arrêtée pour cela ; la mort de ces fameux vainqueurs, affligeante pour quelques esclaves favorisés, fut un sujet de joie pour tout le genre-humain ; il rendit au moins aux nations l’espoir de respirer. Crois-tu que tes talens doivent intéresser le genre-humain & le mettre en deuil à ta mort ? Hélas ! Les Corneilles, les Lockes ; les Newtons, les Bayles, les Montesquieu sont morts regrettés d’un petit nombre d’amis, que bientôt