Page:Holbach - Système de la nature, 1770, tome 2.djvu/391

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talens joignent ou une imagination bien réglée, ou le courage nécessaire pour combattre avec succès des chimeres habituelles dont leur cerveau s’est longtems pénétré. Une pente secrète & invincible raméne souvent, en dépit du raisonnement, les esprits les plus solides & les mieux raffermis aux préjugés qu’ils voient généralement établis, & dont eux-mêmes se sont abbreuvés dès la plus tendre enfance. Cependant peu-à-peu des principes, qui d’abord paroissoient étranges ou révoltans, quand ils ont la vérité pour eux, s’insinuent dans les esprits, leur deviennent familiers, se répandent au loin, produisent des effets avantageux sur toute la société : avec le tems elle se familiarise avec les idées qu’elle avoit dans l’origine regardé comme absurdes & déraisonnables ; du moins on cesse de regarder comme odieux ceux qui professent des opinions, sur lesquelles l’expérience fait voir qu’il est permis d’avoir des doutes sans danger pour le public.

L’on ne doit donc pas craindre de répandre des idées parmi les hommes. Sont-elles utiles ; elles fructifient peu-à-peu. Tout homme qui écrit ne doit point fixer ses yeux sur le tems où il vit ni sur ses concitoyens actuels, ni sur la contrée qu’il habite. Il doit parler au genre-humain, il doit prévoir les races futures ; envain attendroit-il les applaudissemens de ses contemporains ; envain se flatteroit-il de voir ses principes précoces reçus avec bienveillance, par des esprits prévenus ; s’il a dit vrai les siècles à venir rendront justice à ses efforts ; en attendant qu’il se contente de l’idée d’avoir bien fait, ou des suffrages secrets des amis de la vérité peu nombreux sur la terre. C’est après sa mort que l’écrivain véridique triomphe ; c’est