Page:Homère - Odyssée, traduction Leconte de Lisle, 1893.djvu/61

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duisais trois de mes compagnons, me confiant le plus dans leur courage. Pendant ce temps, la Déesse, étant sortie du large sein de la mer, en apporta quatre peaux de phoques récemment écorchés, et elle prépara une ruse contre son père. Et elle s'était assise, nous attendant, après avoir creusé des lits dans le sable marin. Et nous vînmes auprès d'elle. Et elle nous plaça et couvrit chacun de nous d'une peau. C'était une embuscade très-dure, car l'odeur affreuse des phoques nourris dans la mer nous affligeait cruellement. Qui peut en effet coucher auprès d'un monstre marin ? Mais la Déesse nous servit très-utilement, et elle mit dans les narines de chacun de nous l'ambroisie au doux parfum qui chassa l'odeur des bêtes marines. Et nous attendîmes, d'un esprit patient, toute la durée du matin. Enfin, les phoques sortirent, innombrables, de la mer, et vinrent se coucher en ordre le long du rivage. Et, vers midi, le Vieillard sortit de la mer, rejoignit les phoques gras, les compta, et nous les premiers parmi eux, ne se doutant point de la ruse ; puis, il se coucha lui-même. Aussitôt, avec des cris, nous nous jetâmes sur lui en l'entourant de nos bras ; mais le Vieillard n'oublia pas ses ruses adroites, et il se changea d'abord en un lion à longue crinière, puis en dragon, en panthère, en grand sanglier, en eau, en arbre au vaste feuillage. Et nous le tenions avec vigueur et d'un cœur ferme ; mais quand le Vieillard plein de ruses se vit réduit, alors il m'interrogea et il me dit :

— Qui d'entre les Dieux, fils d'Atreus, t'a instruit, afin que tu me saisisses malgré moi ? Que désires-tu ?

Il parla ainsi, et, lui répondant, je lui dis :

— Tu le sais, Vieillard. Pourquoi me tromper en m'interrogeant ? Depuis longtemps déjà je suis retenu dans cette île, et je ne puis trouver fin à cela, et mon cœur s'épuise. Dis-moi donc, car les Dieux savent tout, quel est celui des immortels