Page:Homère - Odyssée, traduction Séguier, Didot, 1896.djvu/483

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Quand le héros a vu ce père si fameux
Affaissé par les ans, rongé par la tristesse,
Sous un arbre il s’arrête et se met à pleurer.
Ensuite il délibère, en sa haute sagesse,
S’il doit voler à lui, dans ses bras le serrer,
Et l’informer comment il rentre en sa patrie,
Ou bien l’interroger, l’éprouver avant tout.
Celui des deux moyens auquel il se résout,
C’est de l’aborder net par une piquerie.
Dans ce but le bon preux court à son géniteur
Qui, la tête baissée, opérait son sarclage ;
Alors l’apostrophant en hardi visiteur :
« Vieillard, tu n’es pas sot dans l’art du jardinage ;
Tout prospère en ces lieux, oui, tout absolument,
Les poires, les figuiers, l’olivette et la vigne,
Le légumage vert, les plantes d’agrément.
Mais je dois te le dire, et pour ce ne t’indigne,
De toi tu n’as nul soin ; sous les ans trop courbé,
Tu traînes, négligent, une immonde vêture.
Or, tu n’es point un serf en disgrâce tombé ;
Rien n’annonce à ton galbe, à ta noble stature,
Un servile destin. Non, tu parais un roi.
On dirait d’un mortel qui peut avec mollesse
Se baigner, festiner, doux lot de la vieillesse.
Mais parle franchement, vite renseigne-moi :
Quel est le possesseur du sol que tu cultives ?
Daigne m’apprendre aussi, le cas est fort pressant,
Si vraiment d’Ithacus mon pied foule les rives,
Ainsi que me l’a dit tout à l’heure un passant,
Qui m’avait l’air d’un fou, car il s’est tu sans gêne,
N’écoutant même plus, quand je lui demandais
S’il connaissait ici mon hôte, un indigène,