Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/221

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sans être jamais englouti sous les flots de l'adversité. Vous connaissez le chant des Sirènes et les breuvages de Circé. Eh bien, si ce héros, non moins imprudent, non moins avide que ses amis, avait bu la coupe perfide, esclave d'une magicienne sans pudeur, il aurait vécu lâchement, dans l'opprobre, sous la forme d'un chien immonde ou d'un porc souillé de fange.

Quant à nous, nous sommes le plus grand nombre, nés pour consommer les fruits de la terre ; pareils aux amants de Pénélope, ou à ces jeunes libertins, courtisans d'Alcinoüs, qui, uniquement occupés du soin de leur parure, mettaient toute leur gloire à dormir jusqu'au milieu du jour, et à perdre, aux accords de la lyre, la mémoire des soucis importuns.

Eh quoi ! les voleurs se lèvent dans la nuit pour égorger un homme ; et vous, pour sauver vos propres jours, vous ne vous éveillerez pas ! Cependant, si vous ne voulez point marcher en bonne santé, vous courrez bientôt hydropique. Si vous ne demandez avant le jour un livre avec une lumière, si vous n'appliquez votre esprit à de graves études et à d'honnêtes travaux, vous veillerez sans cesse tourmenté par l'envie ou par l'amour. Que le moindre objet blesse votre œil, vous l'en retirez aussitôt, et, quand votre âme est corrompue, c’est à l'année prochaine que vous en remettez la guérison ! L'ouvrage commencé est à moitié fait. Osez donc être sage. Commencez. L'homme qui diffère le moment de se bien conduire, attend, comme le paysan, que le fleuve soit écoulé. Mais le rapide fleuve coule et coulera jusqu'à la fin des âges.

On cherche de l'argent, on désire une épouse pour avoir des enfants; on défriche, à l'aide de la charrue, des