Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/267

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Je dis que le bonheur est aux champs; tu crois qu'on le trouve à la ville. Dès qu'on préfère la condition d'un autre, on prend la sienne en aversion. Le campagnard, le citadin, sont injustes tous deux en accusant le lieu qu'ils habitent, et qui est innocent de leurs chagrins; la faute est à leur propre cœur, qui ne peut se fuir lui-même.

Quand tu vivais à la ville, tu faisais des vœux secrets pour aller habiter la campagne, maintenant, devenu campagnard, tu désires la ville, et les bains, et les jeux.

Pour moi, tu sais que je suis fidèle à moi-même, et tu me vois quitter les champs avec tristesse, toutes les fois que de maudites affaires me traînent à Rome. Nous ne sommes pas habitués, toi et moi, à voir de même ; aussi n'avons-nous pas les mêmes goûts : car les lieux que tu regardes comme d'affreux et d'inhabitables déserts, ceux qui pensent comme moi les trouvent charmants, et ils ne peuvent souffrir les endroits dont tu admires la beauté. Ce sont les lieux de débauche, ce sont les cabarets, je le vois bien, qui te font regretter la ville ; et, de plus, c'est qu'on ferait produire à ce petit coin de terre que tu cultives du poivre et de l'encens, avant d'y faire venir du raisin; c'est encore qu'il n'y a point dans le voisinage de taverne où tu puisses aller boire ; qu'il n’y vient point de joueuse de flûte libertine qui te fasse sauter et retomber pesamment sur la terre. Au lieu de ces plaisirs, il te faut remuer des champs qui depuis longtemps n'ont pas été entamés par le soc ; soigner le bœuf détaché de la charrue, et lui préparer une ample nourriture. Il te vient encore un surcroît d'ouvrage dont ta paresse se plaint, lorsqu'il tombe une pluie qui forme un torrent, et que tu es obligé de faire une digne pour l'empêcher d'inonder la prairie.