Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/273

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le plus de lièvres et de sangliers ? quel est le rivage le plus fertile en poissons délicats ? donnez-moi tous ces renseignements, je les suivrai avec une foi entière, car je veux revenir gros et gras comme un vrai Phéacien.

Ménius, après avoir bravement dévoré l'héritage de son père et de sa mère, se fit parasite. Promenant çà et là ses bouffonneries, il portait en tous lieux son appétit insatiable. A jeun, amis et ennemis, il ne distinguait personne, prêt qu'il était à lancer contre le premier venu ses injures et sa mauvaise humeur. C'était la terreur, le fléau des marchés : son ventre, comme un abîme, engloutissait tout ce qu'il gagnait. Mais quand il n'avait pu rien ou presque rien obtenir de la complaisance de ses compagnons de table ou de la dureté des usuriers, il se contentait de la plus mauvaise viande, des mets les plus grossiers : trois ours auraient moins dévoré. Alors, austère Bestius, il voulait qu'un fer brûlant marquât le ventre de tous ces maudits débauchés. Tombait-il sur une meilleure proie, tout y passait ; puis, bien repu : « Grands dieux ! s'écriait-il, je ne m'étonne pas de voir des gens manger leur fortune: est-il rien de meilleur qu'une grive bien grasse ? de plus beau qu'une panse de truie bien farcie ? » Eh bien, Ménius, c'est moi; je loue au besoin la pauvreté et la sécurité qu'elle donne, et je fais assez, contre mauvaise fortune, bon cœur. S'il se présente quelque chose de mieux et de plus délicat : heureux, dis-je, heureux et sages, ceux-là seuls dont le revenu est solidement établi sur de riches métairies !