Page:Horace - Œuvres complètes - Satires, épîtres, art poétique, tome 2, 1832.djvu/303

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ÉPITRE XX. A SON LIVRE.

Il me semble, mon livre, que tu regardes souvent du côté de Vertumne et de Janus. Est-ce que tu voudrais être exposé en vente dans la boutique des Sosies, poli et relié par leurs mains ? Tu t'indignes, je le vois, de rester sous la clef : l'obscurité, si chère à la modestie, n'est pas ton fait. Honteux d'avoir un petit nombre de lecteurs, il te faut le grand jour de la publicité. Sont-ce là les sentiments dans lesquels je t'avais élevé ? Eh bien, va donc où tu brûles d'aller ! mais souviens-toi que, une fois dehors, il n'y aura plus à revenir. Malheureux, diras-tu à la première boutade que tu essuieras, qu'ai-je fait ? quels vœux ai-je formés ? Tu sais aussi combien le lecteur se gênera peu pour te remettre dans tes plis, quand l'ennui le prendra.

Voici donc, si le dépit que tu me causes ne m'aveugle pas, voici de point en point ce qui t'adviendra. Fêté à Rome, tant que tu conserveras l'attrait de la jeunesse, une fois que tu auras passé dans toutes les mains, et qu'on aura sali tes pages, tu deviendras, dans un coin, la pâture des vers, ou bien tu passeras à Utique, si mieux on n’aime t'expédier pour Lérida, servant d'enveloppe à des marchandises. Qui rira bien alors ? Ce sera celui dont tu n'auras pas voulu suivre les conseils. Il fera comme ce rustre qui, ayant affaire à un âne qui ne voulait point obéir, le poussa de colère dans le précipice.