Scène V
Je n'ai donc plus de fils ! Cette fuite funeste [980]
Me sépare à jamais de celui qui me reste.
Voilà, chère Tharès, le malheur que j'ai craint ;
Voilà le fruit cruel d'un amour mal éteint.
J'espérais voir le ciel sensible à mes alarmes ;
Mais il a rejeté ma prière et mes larmes. [985]
Je succombe à mes maux. Eh ! Comment mes enfants
Dans le sein du seigneur aujourd'hui triomphants,
N'ont-ils pas obtenu pour prix de leur victoire
Qu'un frère malheureux n'en ternît pas la gloire !
Que lui reprochez-vous, Madame ? Et quel affront [990]
Pensez-vous que sa fuite imprime à votre front ?
D'un tyran implacable il fuit la barbarie.
Sans trahir son devoir, il assure sa vie.
Il n'a point adoré les dieux du syrien.
Il adore les dieux, puisqu'il trahit le sien. [995]
Il ne fuit que pour suivre Antigone qu'il aime ;
Amant de l'idolâtre, il le devient lui-même.
Quand Dieu n'est pas pour lui l'intérêt le plus cher,
Qu'importe d'Antigone ou bien de Jupiter ?
Mais quand Misaël fuit, du tyran qu'elle offense [1000]
Antigone elle-même a dû fuir la vengeance.
L'amour les unit moins peut-être que l'effroi.
L'une fuit pour sa vie, et l'autre pour sa foi.