De vos maux avec vous je ressens la rigueur. [115]
Mais il vous reste encor l'espérance au Seigneur.
Peut-être ce qu'il fit pour Abraham fidèle...
À quel injuste espoir ta pitié me rappelle !
Non, non. J'obéis mieux. Je ne demande pas
Que Dieu déploie ici la force de son bras. [120]
Mon coeur à ses décrets n'apporte point d'obstacles,
Et croirait l'offenser par l'espoir d'un miracle.
Je n'ose même encor souhaiter que sa main
Verse moins d'amertume et de trouble en mon sein.
Plus je crains pour mes fils, plus je me sens leur mère, [125]
Et plus je l'intéresse à devenir leur père.
Il est juste, Tharés, qu'à force de souffrir,
J'obtienne que leur dieu leur apprenne à mourir.
Es-tu content, Seigneur ? J'accepte mon martyre.
La mort de mes enfants me perce, me déchire : [130]
Ce que jamais pour eux j'ai ressenti d'amour,
Je le sens redoubler, quand ils perdent le jour :
Mais sans en murmurer, je subis ces alarmes ;
Et ma fidélité t'offre toutes mes larmes.
Il fallait au tyran laisser voir ces douleurs, [135]
Madame ; vous l'auriez désarmé par vos pleurs ;
Et l'âme à la pitié la plus inaccessible
N'eût pu voir tant de maux sans devenir sensible :
Mais vous l'aigrissiez, lui qu'il fallait attendrir.
Moi que vous pénétrez, puis-je vous secourir ? [140]
J'ai dû devant le roi vaincre ce trouble extrême ;
Et je ne songe pas à t'attendrir toi-même.
Je ne veux qu'un témoin du trouble de mon coeur ;
Et je ne pleure ici que devant le Seigneur.
Mais ce n'est point en vain ; et je sens sa présence. [145]