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LE MANOIR

— Eh bien, monsieur l’intendant, supposons que, bravant le mécontentement de la marquise, qui, comme vous savez, exerce une grande influence sur M. de Beauharnais, qui lui-même, vous ne l’ignorez pas non plus, en exerce une non moins grande, en proportion, à la cour, grâce à sa famille puissante, aux alliances de celle-ci et aux services par lesquels il s’est déjà signalé dans la marine et ailleurs ; supposons, dis-je, que, bravant ce mécontentement et les sarcasmes de la bonne société dans ce pays, vous vous êtes retiré dans votre manoir des Trois-Rivières ou d’ici. L’ancien intendant du roi, celui auquel était confiée l’administration financière du pays, celui qui n’avait de supérieur que le gouverneur général et pouvait légitimement ambitionner, raisonnablement espérer de le devenir lui-même un jour, est maintenant un simple gentilhomme campagnard, satisfait de retirer ses rentes de ses censitaires et d’étendre son autorité sur les employés de ses moulins…

— Deschesnaux ! interrompit l’intendant en fronçant le sourcil.

— Vous m’avez ordonné de parler, monsieur ; laissez-moi terminer mon tableau… La cour trouve que M. de Beauharnais a été assez longtemps gouverneur du Canada ; il s’agit de le remplacer. M. de Vaudreuil a prévu ce qui devait arriver et a fait agir en conséquence et à propos les hautes influences qu’il sait lui être favorables. Surtout, il a eu la prudence de rester tout le temps dans le service du roi, dans une qualité ou dans une autre. M. Bégon en a fait autant de son côté et pour son avancement. Vous, vous apprenez tout cela à la campagne, au coin de votre feu, loin du monde officiel, par lequel vous avez voulu vous faire oublier. Vous commencez alors à regretter, mais trop tard, la nullité à laquelle vous vous êtes condamné. Et pourquoi ?…