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LE MANOIR

re les chevaux mieux qu’aucun maréchal du Canada, et c’est même à cela qu’il borne son travail présent ; car il a renoncé à traiter les bipèdes sans plumes, vulgairement appelés le genre humain.

— S’il ferre si bien les chevaux, j’ai hâte de lui faire ferrer le mien, interrompit DuPlessis.

Les choses n’allèrent pas aussi vite qu’il l’aurait désiré. Il lui fallut encore subir une foule de citations de Virgile, de Cicéron et d’Horace, avant que le pédagogue, qui était fier d’avoir trouvé un homme assez instruit pour apprécier sa connaissance du latin, l’eût assuré que son élève Cyriaque Laforce allait le conduire vers la demeure du maréchal.[1]

— Ainsi, dit le pédagogue, arrive ici, Cyriaque, mon drôle.

Le disciple parut alors dans la chambre. Sa démarche était gauche. Il était laid, mal fait. Ses cheveux roux étaient mal peignés. Il avait le nez camard et le menton pointu. Ses yeux gris avaient une obliquité de vision. Malgré tout, ce garçon de seize à dix-sept ans

  1. Apollon Jacques avait été nommé il y a vingt ans, par le gouverneur général d’alors, M. de Vaudreuil, avec six autres professeurs laïques, pour aller dans les campagnes aider le clergé à répandre l’instruction parmi le peuple. Le nombre des personnes qui, à cette époque, savaient lire et écrire au Canada, était bien plus considérable que beaucoup ne se l’imaginent de nos jours. C’est la conquête du pays par l’Angleterre qui, avec le gouvernement oligarchique et nuisible au progrès en tout genre qu’elle a imposé pendant près d’un siècle aux Canadiens, a retardé d’autant ce mouvement salutaire en faveur de l’éducation populaire. Heureusement, depuis que le pays jouit réellement d’institutions politiques libres, c’est-à-dire depuis 1847, ce progrès a repris son cours, un peu lent d’abord, il est vrai, mais aussi rapide aujourd’hui que dans la plupart des pays les plus avancés en civilisation.

    Maître Jacques enseignait depuis la Pointe-du-Lac jusqu’à Maskinongé dans un grand nombre de familles aisées.