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GENS ET CHOSES DU LABRADOR ORIENTAL

un célibataire riche de vingt à vingt-cinq mille piastres, et qui vit seul dans une jolie maison. « Pourquoi, lui dit un jour le missionnaire, pourquoi n’allez-vous pas résider par exemple dans les environs de Québec ? — J’ai déjà passé un hiver à Québec. Jamais de ma vie je n’ai éprouvé tant d’ennui. Il me semblait que je ne verrais jamais arriver enfin l’époque de la navigation, pour m’en revenir au Labrador. Tenez ! mon Père, je suis né et j’ai vécu ici ; j’y suis heureux ! » Si l’on répond à cet exemple qu’il est facile aux gens riches d’être bien partout, je prierai qu’on lise, et on ne le fera pas sans être ému jusqu’aux larmes, le touchant récit qu’a publié M. Gregory[1] d’une visite qu’il fit, en l’automne de 1868, à la famille Jones, résidant à la baie de Brador. La misère de cette famille était extrême, et l’hiver qu’elle allait passer s’annonçait sous les couleurs les plus inquiétantes. Que répond le père Jones à M. Gregory, qui lui offre de le transporter avec sa famille dans un endroit du pays où il se créera facilement une position convenable ? « Je ne puis encore me décider à abandonner ce lieu où je suis né ! »

Il faut sans doute bénir le Créateur de cet attachement qu’il inspire aux hommes pour l’endroit où s’est écoulée la première période de leur existence. S’il en était autrement, nous verrions tout le genre humain s’entasser sur une étroite bande du globe terrestre, où la vie est la plus agréable et la plus facile ; et les conditions économiques qui s’ensuivraient seraient assurément fort curieuses.

* * *

Quand, au Labrador, on a à sa disposition quelque étendue de terre cultivable, on l’engraisse avec du goémon et des déchets de morue, et l’on cultive les pommes de terre, les oignons, les navets, les choux. Mais l’on ne récolte guère de ces légumes que pour l’usage immédiat ; car, on est trop occupé à la pêche pour

  1. En racontant, pages 15 et suiv.