Page:Huard - Labrador et Anticosti, 1897.djvu/507

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
489
GENS ET CHOSES DU LABRADOR ORIENTAL

faudrait faire : car, si les ressources pécuniaires étaient fournies en abondance, il serait possible d’organiser assez bien l’enseignement sur cette côte du Labrador.

Par exemple, il faudra toujours compter beaucoup sur le dévouement, qui ne s’achète pas à prix d’argent. Si la carrière de l’enseignement, est partout pénible, elle le devient doublement dans ce pays, où l’éducation de famille prépare si peu les enfants à recevoir la formation scolaire. En effet, ces pauvres enfants qui n’ont jamais vu que les rochers couverts de mousses où ils vivent, qui ne connaissent rien en dehors des choses de la pêche, ont bien de la peine à saisir les explications qu’on leur donne. Presque chaque mot, dans le livre de lecture, les arrête et les déconcerte. Leur parler de forêts, de champs, d’arbres, de jardins, de roses, de pommes, etc., c’est leur tenir un langage qu’ils n’entendent pas. À part les chiens et les animaux sauvages, tout le règne animal leur est à peu près inconnu. Tous les oiseaux, indistinctement, sont pour eux des « gibiers ». On raconte à ce propos qu’une institutrice ayant un jour donné à un petit Labradorien une image représentant le Saint-Esprit sous la forme traditionnelle d’une gracieuse colombe, l’enfant appela aussitôt ses camarades : « Oh ! venez voir, vous ôtes (autres), le beau petit « gibier » que mamzelle m’a donné ! »

Après les plus copieuses explications pour faire un peu comprendre à ces pauvres enfants le sens du mot « créer », on demandait à un élève ce que signifie l’expression « Créateur du ciel et de la terre. » — « Cela veut dire, répondit-il, que Jésus-Christ a bâti les anges et les hommes sans quelque chose. »

Mais voici qui fera encore mieux saisir quel est l’état intellectuel de cette jeunesse du bas Labrador. On y verra aussi quelle langue ou parle là-bas.

L’institutrice de certain hameau de l’est avait consacré une heure par jour, pendant quelques mois, à raconter à son petit peuple l’histoire de la Création. Lassée des interminables explications qu’il fallait donner, elle avait fini par dire aux enfants, en réponse à leurs questions, que les fruits du paradis