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M. Strauss[1]. Quant au nombre des langues où la même notion est fragmentée en plusieurs expressions, il est indéfini[2].

Mais nous avions une autre réponse à faire à la critique de M. Jevons. Il n’est pas indispensable qu’un phénomène social arrive à son expression verbale pour qu’il soit. Ce qu’une langue dit en un mot, d’autres le disent en plusieurs. Il n’est même pas du tout nécessaire qu’elles l’expriment : la notion de cause n’est pas explicite dans le verbe transitif, elle y est pourtant.

Pour que l’existence d’un certain principe d’opérations mentales soit sûre, il faut et il suffit que ces opérations ne puissent s’expliquer que par lui. On ne s’est pas avisé de contester l’universalité de la notion de sacré et pourtant, il serait bien difficile de citer en sanskrit ou en grec un mot qui correspondît au sacer des Latins. On dira : ici, pur (medhya), sacrificiel (yajñiya), divin (devya), terrible (ghora) ; là, saint (ἱερός ou ἅγιος), vénérable (σεμνός), juste (θέσμος), respectable (αἰδέσιμος). Et pourtant les Grecs et les Hindoux n’ont-ils pas eu une conscience très juste et très forte du sacré ?

On n’a pas attendu ce supplément de preuves pour faire crédit à ce que nous avons dit sur la notion de mana. MM. Sidney Hartland[3], Frazer[4], Marrett[5], M. Jevons, lui-

  1. Strauss, Brahmanaspati, Kiel, 1906.
  2. Van Gennep, Revue des Traditions populaires, 1904, 118-119 ; id., Mythes et Légendes d’Australie, p. lxxxiv sq. Nous n’admettons pas comme le fait M. Van Gennep que la Barakâ marocaine et arabe, c’est-à-dire le mana de la bénédiction, soit tout le mana ; le churinga des Arunta, n’est que le mana de certaines choses et rites sacrés. Ce sont des mana spécialisés.
  3. Folk-Lore, t. XV, 1904, p. 353. Compte rendu de Année Sociolugique, t. VII, 1904, cf. Pres. addr. Bristish Ass. of Sc., 1906, York.
  4. Lectures on the Early History of Kingship, 1906, p. 7 sq. M. Frazer ne paraît pas avoir apprécié l’importance de la notion de mana avant la lecture de notre travail.
  5. From Spell to Prayer, Folk-Lore, t. XV, 1904, p. 132 sqq. M. Marrett avait, avant nous, indiqué que l’animisme avait des conditions « préanimistes ». Pre-animistic Religion, Folk-Lore, t. XI, 1900, p. 108 sq.