Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/36

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logiques dans la conscience des individus vivant en groupes, on les trouve naturellement, intimement liées. En effet, les jugements et les raisonnements de la magie et de la religion sont de ceux sur lesquels s’accordent des sociétés entières. Cet accord doit avoir d’autres raisons que les rencontres fortuites des sentiments capricieux. Il s’explique par le fait que, dès le début, il faut que ces jugements et ces raisonnements de valeur soient à la fois empiriques et rationnels.

Le sentiment individuel peut s’attacher à des chimères. Le sentiment collectif ne peut s’attacher qu’à du sensible, du visible, du tangible. La magie et la religion concernent des êtres, des corps ; elles naissent de besoins vitaux et vivent d’effets certains ; elles s’exposent au contrôle de l’expérience. L’action locale du mana dans les choses est, pour le croyant, susceptible de vérifications. On s’inquiète sans cesse de sa présence fugace. Certes les conclusions des dévots sont toujours affirmatives car le désir est tout puissant. Mais il y a épreuve, confirmation.

Ces jugements et ces raisonnements de valeur doivent d’autre part avoir un caractère rationnel. Il y a des limites à leurs absurdités. M. Ribot a dit que la logique des sentiments admettait la contradiction ; cela est vrai, même des sentiments collectifs. Mais la logique qui règne dans la pensée collective est plus exigeante que celle qui gouverne la pensée de l’homme isolé. Il est plus facile de se mentir à soi-même que de se mentir les uns aux autres. Les besoins réels, moyens, communs et constants qui viennent se satisfaire dans la magie et dans la religion ne peuvent pas être aussi facilement trompés que la sensibilité instable d’un individu. Celui-ci n’a pas besoin de coordonner ses sentiments et ses notions aussi fortement que les groupes doivent le faire. Il s’accommode d’alternances. Au contraire les individus associés et voulant rester unanimes dégagent d’eux-mêmes des moyennes, des constantes. Certes ces décisions et ces idées des groupes sont faites d’éléments