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du temps ne sont pas autre chose que des degrés ou des modalités du sacré : religiosité gauche ou droite, forte ou faible, générale ou spéciale. Nous apercevons donc des relations fort étroites entre ces deux notions de sacré et de temps, si intimement unies et mêlées et qui se corroborent l’une l’autre. Nous avons ainsi pu concevoir, comment cette notion de sacré doit être celle en fonction de laquelle les autres se classent, mais aussi se produisent par segmentations et oppositions successives, c’est-à-dire en somme la mère et la génératrice des représentations religieuses[1].

Nous pouvons maintenant revenir sur les caractères de ces jugements de valeur, qui sont à l’origine de l’entendement humain. Avec les empiristes nous avons reconnu que ces jugements n’étaient possibles qu’après un minimum d’expériences sur des choses, des objets matériels ou conçus comme matériels. Avec les nominalistes nous reconnaissons la toute-puissance du mot, d’origine sociale lui aussi. Avec les rationalistes enfin, nous reconnaissons que ces jugements de valeur sont coordonnés, suivant des règles constantes et constamment perfectionnées. Mais, tandis que, pour eux, c’est une entité, la raison, qui dicte ces règles, pour nous ce sont des puissances sociales, la tradition, le langage, qui les imposent à l’individu.

Nous admettons donc la théorie du jugement de valeur, qu’ont inventée les théologiens piétistes. Mais tandis que les philosophes[2], disciples de ces théologiens ne voient

  1. Ce que l’un de nous a fait explicitement pour l’idée de temps avait été indiqué pour l’idée d’espace, à propos de la classification des choses suivant les régions. — Voir Durkheim et Mauss, Classifications primitives, p. 63.
  2. On trouvera sur ce sujet une assez bonne bibliographie dans Ribot, Logique des sentiments, p. 34, n. 1. Sur le développement et la portée générale du système de Ritschl, voir Boutroux, Science et Religion, p. 210 sq. L’origine piétiste de ces théories est, pour nous, certaine.