Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un caractère défavorable dont il était affligé ; il s’est élevé à un état de grâce, ou il est sorti d’un état de péché. Dans un cas comme dans l’autre, il est religieusement transformé.

Nous appelons sacrifiant le sujet qui recueille ainsi les bénéfices du sacrifice ou en subit les effets[1]. Ce sujet est tantôt un individu[2] et tantôt une collectivité[3], famille, clan, tribu, nation, société secrète. Quand c’est une collectivité, il arrive que le groupe remplit collectivement l’office de sacrifiant, c’est-à-dire assiste en corps au sacrifice[4] ; mais, parfois aussi, il délègue un de ses membres qui agit en son lieu et place. C’est ainsi que la famille est généralement représentée par son chef[5], la société par ses magistrats[6]. C’est un premier degré dans cette série de représentations que nous rencontrerons à chacune des étapes du sacrifice.

Toutefois, il y a des cas où le rayonnement de la consé-

  1. Le yajamâna des textes sanscrits. Remarquons l’emploi de ce mot, participe présent moyen du verbe yaj (sacrifier). Le sacrifiant est, pour les auteurs hindous, celui qui attend un retour sur soi de l’effet de ses actes. (Rapprocher la formule védique « nous qui sacrifions pour nous », ye yajâmahe, de la formule avestique yazamaide. Voir Hillebrandt, Ritual Litteratur, p. 11.) — Ces bénéfices du sacrifice sont, suivant nous, des contre-coups nécessaires du rite. Ils ne sont pas dus à une volonté divine libre, que la théologie a, peu à peu, intercalé entre l’acte religieux et ses suites. On comprendra, dès lors, que nous négligions un certain nombre de questions qui impliquent l’hypothèse du sacrifice don et l’intervention de dieux rigoureusement personnels.
  2. C’est le cas normal dans le sacrifice hindou, qui est, aussi rigoureusement que possible, en théorie du moins, individuel.
  3. Par exemple, Il., Α, 313 sqq.
  4. C’est le cas, en particulier, des sacrifices vraiment totémiques, et de ceux où le groupe remplit lui-même le rôle de sacrificateur, tue, déchire et dévore la victime ; enfin d’un bon nombre de sacrifices humains, surtout ceux de l’endocannibalisme. Mais, souvent, le seul fait d’assister suffit.
  5. Dans l’Inde antique, le maître de maison (gṛhapati) sacrifie quelquefois pour toute sa famille. Quand il n’est que participant aux cérémonies, sa famille et sa femme (cette dernière assistant aux grands sacrifices), en reçoivent certains effets.
  6. Selon Ézéchiel, le prince (naçi = exilarque) devait faire les frais du sacrifice des fêtes, fournir les libations et la victime. Ézéch. XLV, 47 ; II Chron. XXXI, 3.