Mais le rituel hindou va nous permettre de mieux suivre toute la suite d’opérations au cours desquelles la victime est progressivement divinisée. Après qu’on l’a baignée[1], on l’introduit, tandis qu’on fait différentes libations[2]. On lui adresse alors la parole en multipliant les épithètes laudatives et en la priant de se tranquilliser[3]. En même temps, on invoque le dieu, maître des bestiaux, pour lui demander de consentir à ce qu’on prenne sa propriété pour en faire une victime[4]. Ces précautions, ces propitiations, ces marques d’honneur ont un double but. D’abord, elles accusent le caractère sacré de la victime ; en la qualifiant de chose excellente, de propriété des dieux, on la fait telle. Mais surtout, il s’agit de l’induire à se laisser sacrifier paisiblement pour le bien des hommes, à ne pas se venger une fois morte. Ces usages, qui sont infiniment fréquents[5], ne signifient pas, comme on l’a dit, que la bête sacrifiée est toujours un ancien animal totémique. L’explication est plus prochaine. Il y a dans la victime un esprit que le sacrifice a précisément pour objet de libérer. Il faut donc se concilier cet esprit qui, autrement, pourrait, une fois libre, devenir dangereux ; de là, ces flatteries et ces excuses préalables.
- ↑ Âp. çr. sû., VII, 12, 1.
- ↑ Âp. çr. sû., VII, 12, 10. Les mantras de ces libations sont T. S., 1, 4, 2. Chose curieuse, ces mantras se retrouvent dans A. V., 11, 34 : cf. Weber, Ind. Stud., III, p. 207 ; ils sont employés (Kauç. sû., 57, 20) lors de l’initiation du jeune brahmane. C’est que, en fait, il s’agit bien d’une sorte d’introduction dans le monde religieux. — Des libations lors de la présentation de la victime se retrouvent assez souvent : Paton, Cos, 40, 9. — En Assyrie, Rawlinson, W. A. I., IV, 32, Inscript. de Sippara.
- ↑ T. S., 1, 3, 7, 1 ; 6, 3, 6, 1, 2 ; Âp. çr. sû., VII, 12, 6. — Cf. V. S., 6, 5 = Maitr. S., 5, 3, 9, 6 ; Çat. Br., 3, 7, 3, 9 sqq. ; Kât. çr. sû., 6, 3, 19.
- ↑ Âp., ib., le dieu est dans le cas présent Prajâpati-Rudra : T. S., 3, 1, 4, 1, commenté par T. S., 3, 1, 4, 5. Cette invocation n’est pas pratiquée par d’autres écoles.
- ↑ Marq., Röm. Alterth., VI, p. 175. — Cf. Frazer, Gold. B., II, p. 110, sqq. — La chose était encore plus naturelle lorsqu’il s’agissait d’une victime humaine (voir Serv., ad Aen., I, 67. Cf. Eur., Hérak., 550 sqq. ; Phoen., 890 ; Ath., XIII, p. 602. Chavero, Mexico, etc., p. 610. Cf. Macpherson, Memorials of service in India, 1865, p. 146) et encore plus lorsqu’il s’agit d’une victime dieu.