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Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/144

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immobil. Comme il y avoit près d’un heur que son corps courbé en arière reposoit sur l’extrémité des bras élevés et tendus par la corde qui le torturoit, je fut tater le mouvement du coeur ; je le trouvai si petit, que je prédit une foiblesse prochaine. J’en avertis monsieur le conseiller Collart, qui ordonna de relacher le patient pour la prévenir ; mais en vin, quelque diligence qu’on fit pour cela, je le trouvay évanouis, ne donnant aucun signes de vie, et le visage d’un paleur mortele chargé d’une sueur froide.

Le valet du bourrau ayant aussitôt emploié ses forces pour relever le corps et le soutenir sur son séant, on se hatat de luy verser dans la bouche quelque liqueur, que je n’avoit pas prescrit ; le patient ayant la tête panchée sur la droite, cette liqueur en sortit, découlant comme de celle d’un cadavre ; ce qui me fit appréhender qu’il ne fut expiré. On eut recours aussitôt à de l’Eau spiritueuse et volatil, dont on lui frotta les narinnes et tout le visage, jusqu’à ce que le sentiment luy revint avec la respiration, la raison et le bon sens.

On profita de ce moment pour l’interroger de nouveau, et l’exhorter à dire la vérité en luy représentant le danger où il avoit été de perdre la vie, et dans lequel il se voit encore exposé, s’il persistoit dans ses négations.

Rien ne pouvant l’ébranler et restant dans sa fermeté ordinaire, ou si on veut, opiniâtreté, le comisaire ordonat qu’il fut rappliqué à la question ou torture. La chose fut exécutée sur le champ : le bourreau se mit en devoir comme auparavant, mais il ne put rien tirer du patient, qui parut dans le même état qu’on l’avoil veu quelque temps avant sa foiblesse, sans donner aucunne plainte des tourments qu’on tachoit de lui faire souffrir. Le bourreau, prevoiant que sa besogne seroit finie, s’il l’extendoit davantage, par l’insensibilité qui succéderoit à un alongement outré des parties, s’avissat par diverses reprises de frapper rudement avec le manche du fois (sic) de son cheval la corde qui suspendoit et tirailloit le patient, pour eguilloner sans danger les douleurs des fibres violentées du bras. Je jugeai pour lors que la nature avoit souffert tout ce qu’elle pouvoit supporter. Le Bourrau, interrogé à cet égard, dit ouvertement qu’il étoit inutil de prolonger la torture et qu’elle seroit inutil : de quoy tous les spectateurs, commis à ce sujet, parurent très convincus. Le Bourrau, ayant receu l’ordre de mettre fin à l’exécution, son valet l’aidat à délier les pieds et les mains, qui étoient tout noires de sang altéré qui y croupissoit : l’ayant soulevé et mis en bas du banc de la torture, le patient paru tremblans de tout son corps, et ne pouvant se soutenir. Le valet du Bourrau, avant de lui remettre son pourpoin, eu la précaution de dechirer la chemise, sur le devant de haut en bas, pour pouvoir remettre les bras avec moins de douleur, dans les manches. Le patient ne laisat pas de s’en plaindre, au moindre mouvement qu’on fit pour cela. Etant couvert de sa chemise et pourpoint, il avala un peu de vin, qu’il avoit constamment refusé auparavant, selon tout apparence par quelque méfiance.

J’ai remarqué que le patient n’a donné que des marques de bon jugement dans toutes les reponces, qu’il s’est trouvé ainsi reveillé apprès sa grande foiblesse, qu’apprès