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Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/44

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habitants de la province à estre appliqués à la torture sur une demie preuve, même sur des présomptions qui sont souvent trompeuses[1]. »

Enfin, le tribunal doit décider si l’accusé est ou n’est pas soustrait à la question, soit en vertu de sa position sociale, soit pour des raisons particulières.

Damhoudere déclarait « excusés du banc », sauf en matière de crimes atroces[2], « les grands personnages qui sont constituez en grandes dignitez », expression vague dont Wynants restreint la portée aux seuls chevaliers de la Toison d’or[3].

Dans les autres pays de l’Europe, la jurisprudence est la même, mais les « grandes dignitez » n’exemptent pas toujours de la question[4], à preuve, dans les siècles précédents, Fiesque à Gênes, Cinq-Mars à Paris, et plus récemment, le 2 janvier 1759, le duc d’Aveiro à Lisbonne[5].

Il est aussi de tradition constante de ne torturer ni les enfants[6], ni les vieillards, ni les femmes enceintes ou accouchées depuis moins de quarante jours[7] ni les infirmes[8]. Toutefois, si un individu rentrant dans une de ces catégories est accusé d’un crime capital, on le conduira dans la chambre de la question, on lui montrera les instruments, comme si on allait s’en

  1. Conseil d’État, carton 364.
  2. Pract. crim., XLI, pp. 1-6 [p. 54 de l’éd. de Paris de 1535]. — Les crimes qui « n’excusent du banc » sont, d’après Damhoudere : « lèse-majesté, trahison, simonie, enchanterie, faulseté, chartre privée et semblables ».
  3. De publicis judic., titre XVII. Le cas ne s’est pas présenté dans les Pays-Bas au XVIIIe siècle ; tout au moins nos archives criminelles n’en gardent-elles pas de trace.
  4. Pour la raison que des indices graves s’élevant contre l’accusé, lui faisaient perdre toute fonction publique [Allard, Hist. du droit crim., p. 294].
  5. Il y a cependant une exception dans les Pays-Bas : Maestricht possède un privilège de 1413 défendant de soumettre à la question d’autres que « les bourgeois ou les bourgeoises publiquement mal famés » [Crahay, Coutumes de Maestricht, p. lxix].
  6. Ceci doit s’entendre des enfants en bas âge. Le 2 mars 1724, on traduit devant les échevins d’Anvers Henri S…, accusé de vol. Le délinquant demande grâce de la question en faisant valoir qu’il n’a pas 14 ans. Cette considération est traitée par les magistrats de « frivolyteit ende impertinentie », et l’on passe outre [Vierschaerboek der stad Antwerpen, van 22 april 1722 tot 19 augustus 1729, fo 415, aux Arch. comm. d’Anvers].
  7. Le sexe n’est pas un motif d’exemption : nos archives criminelles contiennent de nombreux exemples de femmes torturées. — On ne peut torturer la mère qui allaite ; Carpzow dit qu’en Saxe on le fait, en y mettant une certaine modération : « ut moderate adhibatur, ne per eam noceatur infanti quoad nutrimentum ». Il arrive aussi que, désirant torturer la mère, le tribunal confie l’enfant à une nourrice [Pract. nov., pars III, q. cxviii, 60, p. 145 de l’éd. de Leipzig de 1723].
  8. L’article 39 de la Caroline prescrit de mettre à la question les blessés, même ceux qui le sont grièvement, mais il recommande aussi d’user de modération.