Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 1.djvu/241

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placé dans la barque tirait de toutes ses forces la corde qui était attachée au nez du chameau, un autre lui donnait de grands coups de barre sur les jambes de derrière, afin de le faire avancer. Tout était inutile : le pauvre animal poussait des cris perçants et douloureux, et tendait son long cou ; le sang ruisselait de ses narines, ses jambes s'agitaient avec frémissement, mais c'était tout ; il n'avançait pas d'un pouce. Au reste, il avait bien peu de chemin à faire pour entrer dans la barque : ses pieds de devant en touchaient les rebords, et il ne lui restait plus qu'un pas à faire ; ce pas était impossible.

Nous ne pûmes tenir plus longtemps à ce spectacle. C'est assez, dîmes-nous au batelier ; c'est inutile de frapper davantage ; tu lui casseras les jambes, tu le tueras plutôt que de le faire entrer dans ta mauvaise barque. Les deux bateliers s'assirent aussitôt ; car ils étaient fatigués, l'un de tirer, et l'autre de frapper. Le chameau eut un moment de repos ; il se mit alors à vomir, et rendit près d'un tonneau d'herbes à moitié ruminées, et qui répandaient une odeur suffocante. Cependant notre embarras était extrême. Nous délibérâmes un instant pour savoir quel parti nous devions prendre dans cette misérable circonstance. Retourner à Tchagan-Kouren, y vendre nos chameaux, et acheter quelques mulets, tel fut notre premier plan. Les bateliers nous en suggérèrent un second : ils nous dirent qu'à deux journées de Tchagan-Kouren il y avait un autre endroit de passage nommé Pao-Teou ; que les barques qu'on y trouvait pour traverser le fleuve étaient plates, et tout-à-fait disposées pour les chameaux ... Ce parti nous paraissant valoir mieux que le premier, nous l'adoptâmes.