Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/136

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un vain mot, et l'homme de mérite était celui qui avait assez d'adresse pour se tirer d'affaire mieux que les autres.

Malgré ces opinions sceptiques et impies, Sandara ne pouvait s'empêcher d'être plein d'admiration pour la doctrine chrétienne. Il était surtout frappé de l'enchaînement des faits historiques que nous lui faisions traduire. Il y trouvait un caractère d'authenticité, dont sont dénuées les fables accumulées dans les livres bouddhiques ; il nous le disait quelquefois, comme par surprise, car ordinairement il cherchait à soutenir en notre présence son triste rôle d'esprit fort. Quand il était avec les Lamas, il était plus à son aise : il publiait partout, qu'en fait de doctrine religieuse, nous étions capables d'en remontrer à tous les Bouddha-vivants.

Au bout de quelque temps, nous commençâmes par faire dans la lamaserie une certaine sensation : on s'entretenait beaucoup des deux Lamas de Jéhovah, et de la nouvelle doctrine qu'ils enseignaient. On disait que jamais on ne nous voyait nous prosterner devant Bouddha ; que nous récitions trois fois par jour des prières qui n'étaient pas thibétaines ; que nous avions un langage particulier que personne n'entendait, mais qu'avec les autres, nous parlions tartare, chinois, et un peu thibétain. Il n'en fallait pas tant pour piquer la curiosité du public lamaïque. Tous les jours nous avions des visiteurs, et la conversation ne roulait jamais que sur des questions religieuses. Parmi tous ces Lamas, nous n'en trouvâmes pas un seul qui fut de la trempe incrédule de Sandara-le-Barbu ; ils nous parurent tous sincèrement religieux et pleins de bonne foi ; il y en avait même plusieurs qui attachaient une grande importance à la