Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/143

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bègue, le Kitat-Lama et son chabi, entièrement absorbés dans leur cérémonie. Nous n'eûmes garde de les déranger, et nous nous contentâmes de regarder et écouter. Ces innombrables lanternes, avec leur lueur rougeâtre et fantastique, les édifices de la lamaserie vaguement éclairés par les reflets d'une lumière tremblante, ces quatre mille voix qui faisaient monter dans les airs un concert immense, auquel venait se joindre, de temps à autre, le bruit des trompettes et des conques marines, tout cela avait un aspect grandiose, et jetait l'âme dans une vague épouvante.

Après avoir considéré un instant ce spectacle étrange, nous descendîmes dans la cour, et nous trouvâmes le vieux Akayé toujours à la même place. — Hé bien, nous dit-il, avez-vous vu la cérémonie des prières nocturnes ? — Oui ; mais nous n'en comprenons pas le but. Serait-ce te déranger que de te demander quelques courtes explications ? — Nullement ; ces prières ont été établies pour chasser les démons. Autrefois ce pays en était désolé. Ils causaient des maladies aux bestiaux et corrompaient le lait des vaches ; ils troublaient souvent les cellules des Lamas, ils portaient leur audace jusqu'à pénétrer dans le chœur, aux heures des prières générales, et leur présence s'annonçait par la confusion et la discordance qui régnaient dans la psalmodie. Pendant la nuit, ils se réunissaient par grandes troupes, au fond du ravin, et effrayaient tout le monde par des cris et des gémissements si étranges, que les hommes ne savent pas les imiter. Un Lama, plein de science et de sainteté, inventa les prières nocturnes, et, depuis qu'on les récite, les démons ont presque entièrement disparu de ces