Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/17

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riaient de tout leur cœur. Cette petite aventure nous valut d'être traités avec des égards tout particuliers.

Le lendemain, à peine le jour commençait à poindre, que nous fûmes éveillés par un tumulte effroyable, qui s'était subitement élevé dans la grande cour de l'auberge. Au milieu du bruit confus de nombreuses voix qui semblaient se quereller avec violence, nous distinguâmes les mots de Tartare puant, de chameau, de tribunal... Nous nous habillâmes promptement, et nous allâmes examiner la nature de cette soudaine émeute, qui paraissait ne pas nous être étrangère. Nos chameaux avaient dévoré, pendant la nuit, deux charretées d'osiers qui se trouvaient dans la cour. On en voyait encore les débris broyés et dispersés ça et là. Les propriétaires, gens étrangers comme nous à l'auberge, exigeaient le paiement de leur marchandise ; et c'était, à notre avis, la chose la plus juste du monde. Mais, selon nous, l'aubergiste seul était tenu à la réparation de ce dommage. Avant de nous coucher, nous l'avions, en effet, prévenu du danger que couraient ces osiers. Nous lui avions dit qu'il fallait les placer ailleurs ; que certainement les chameaux rompraient leur licou pour aller les dévorer. Les propriétaires des charrettes s'étaient joints à nous, pour réclamer une séparation ; mais l'aubergiste avait ri de nos craintes, et prétendu que les chameaux n'aimaient pas les osiers. Quand nous eûmes suffisamment exposé la nature de cette affaire, le public, jury toujours permanent parmi les Chinois, décida que tous les dommages devaient être réparés aux frais de l'aubergiste ; pourtant nous eûmes la générosité de ne pas exiger le prix des licous de nos chameaux.