n'allait pas jusqu'à lui faire oublier ses intérêts. Il trouva, sans doute, qu'il serait plus sûr de confier ses caisses à des Missionnaires, qu'à un Chinois, même Mandarin. Cette marque de confiance nous fit plaisir ; c'était un hommage rendu à la probité des chrétiens, et en même temps une satire bien amère du caractère chinois.
Nous nous rendîmes à la maison de Ly-Kouo-Ngan, où dix-huit chevaux déjà tout sellés nous attendaient dans la cour. Les trois qui avaient meilleure mine étaient à part ; on les avait réservés pour le Tou-Sse et pour nous. Les quinze autres étaient pour les soldats, et chacun dut prendre celui qui lui fut désigné par le sort.
Avant de monter à cheval, une Thibétaine vigoureusement membrée, et assez proprement vêtue se présenta : c'était la femme de Ly-Kouo-Ngan. Il l'avait épousée depuis six ans, et il allait l'abandonner pour toujours ; il n'en avait eu qu'un enfant qui était mort en bas âge. Ces deux conjugales moitiés ne devant plus se revoir, il était bien juste qu'au moment d'une si déchirante séparation, il y eût quelques mots d'adieu. La chose se fit en public, et de la manière suivante. — Voilà que nous partons, dit le mari ; toi, demeure ici, assise en paix dans ta chambre. — Va-t'en tout doucement, répondit l'épouse ; va-t'en tout doucement, et prends bien garde aux enflures de tes jambes ... Elle mit ensuite une main devant ses yeux, comme pour faire croire qu'elle pleurait. — Tiens, dit le Pacificateur des royaumes, en se tournant vers nous, elles sont drôles ces femmes thibétaines ; je lui laisse une maison solidement bâtie, et puis une foule de meubles presque tout neufs ; et voilà qu'elle s'avise de pleurer ! Est-ce qu'elle n'est pas contente comme