Page:Huc - Souvenirs d’un voyage dans la Tartarie, le Thibet et la Chine pendant les années 1844-46, tome 2.djvu/43

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ces mots, il rapprochait l'un contre l'autre les deux index de ses mains. — Oui, lui répondîmes-nous, tu as raison, tes croyances et les nôtres sont en état d'hostilité ; le but de nos voyages et de nos efforts, nous ne te le cachons pas, c'est de substituer nos prières à celles qui sont en usage dans vos lamaseries. — Je le sais, nous dit-il, en souriant, il y a longtemps que je le sais. — Puis il prit de nouveau le Bréviaire, et nous demanda des explications sur les nombreuses gravures qu'il contenait ; il ne parut étonné en rien de ce que nous lui dîmes. Seulement, quand nous lui eûmes expliqué l'image du crucifiement, il remua la tête en signe de compassion, et porta ses deux mains jointes au front. Après avoir parcouru toutes les gravures, il prit le Bréviaire d'entre nos mains, et le fit toucher de nouveau à sa tête. Il se leva ensuite, et nous ayant salué avec beaucoup d'affabilité, il quitta notre chambre. Nous le reconduisîmes jusqu'à la porte.

Quand nous fûmes seuls, nous demeurâmes un instant comme abasourdis de cette singulière visite. Nous cherchions à deviner quelle pensée avait dû préoccuper ce Bouddha-vivant, pendant qu'il avait été à côté de nous ; quelle impression il avait ressentie, quand nous lui avions donné un aperçu de notre sainte religion. Quelquefois, il nous venait en pensée, qu'il avait dû se passer au fond de son cœur des choses bien étranges ; puis, nous nous imaginions que peut-être il n'avait rien éprouvé, rien ressenti ; que c'était tout bonnement un homme très-ordinaire, qui profitait machinalement de sa position, sans trop y réfléchir, sans attacher aucune importance à sa prétendue divinité. Nous fûmes si préoccupés de ce personnage